En visite à Beyrouth, la présidente du Front national a refusé de porter un voile pour s’entretenir avec le grand mufti de la République libanaise. Florian Philippot, lui, y voit symbole « d’émancipation des femmes ». Pour la co-fondatrice d’Osez le féminisme, il s’agit d’un simple « coup de communication ». Interview.
Marine Le Pen, symbole de l’émancipation des femmes ? C’est en tout cas ce que suggère le vice-président du Front national Florian Philippot. Lors du dernier jour de sa visite à Beyrouth, mardi 21 février, la présidente du FN a refusé de porter un voile pour entrer dans la mosquée Aïcha Bakkar alors qu’elle devait y rencontrer le grand mufti de la république libanaise Abdellatif Deriane. « Vous transmettrez au grand mufti ma considération mais je ne me voilerai pas », a-t-elle lâché en repartant, sans s’entretenir avec lui donc. « Un magnifique message de liberté et d’émancipation envoyé aux femmes de France et du monde entier », a alors réagi Florian Philippot sur Twitter.
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Au Liban, Marine refuse de porter le voile. Un magnifique message de liberté et d'émancipation envoyé aux femmes de France et du monde ! 🇫🇷 pic.twitter.com/jAvKEfjGEF
— Florian Philippot (@f_philippot) February 21, 2017
Une polémique que beaucoup qualifient d’orchestrée, qui intervient en plein milieu de la campagne présidentielle alors que la candidate frontistes cherche à attirer un lectorat féminin. Alors, coup de communication ou réelle engagement pour les droits des femmes ? Décryptage de Caroline de Haas, co-fondatrice d’Osez le féminisme, passée par le cabinet de Najat Vallaud-Belkacem au ministère des Droits des femmes.
Florian Philippot a qualifié le refus de Marine Le Pen de porter le voile, de « message de liberté et d’émancipation envoyé aux femmes », qu’est-ce que cela vous inspire ?
Caroline de Haas – Le féminisme, c’est remettre en cause de manière radicale les inégalités. Or, le Front national non seulement ne remet pas en cause les inégalités, mais ne fait aucune proposition pour faire évoluer les égalités entre les sexes. Et le féminisme d’un candidat se mesure avant tout grâce à ses propositions politiques, en aucun cas à ses coups de communication. Marine Le Pen propose de ne pas augmenter le Smic, et de ne pas réduire le temps de travail, qui sont deux conditions sine qua non de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes.
Les femmes composent en effet une majorité de travailleurs à temps partiel et au smic. Et tant que l’on ne fera pas descendre le nombre d’heures hebdomadaire standard, et que l’on augmentera pas le smic, on n’arrivera jamais à obtenir l’égalité professionnelle. Je prends ici l’exemple des propositions du FN concernant l’égalité salariale, mais l’on peut aussi parler du droit des femmes à disposer de leur corps ou de la xénophobie. Marine Le Pen peut aller faire des coups de communication dans ses déplacements à l’international, cela ne change pas le fait que son programme va creuser les inégalités entre les sexes.
Est-ce que la question des droits des femmes est davantage abordée dans cette campagne présidentielle que les précédentes ?
Ce qui est intéressant, c’est que tout l’arc politique a compris que la question de l’égalité entre les hommes et les femmes était de plus en plus importante dans la société. En 2012, les féministes étaient très présentes tout au long de la campagne et la gauche avait promis de mettre en place un ministère du droit des femmes. En 2017, on voit bien que les candidats ont pris conscience du fait qu’ils ne peuvent pas faire abstraction de cette thématique, et donc ils essaient de présenter des propositions sur le sujet, et de faire des coups de communication, alors qu’il suffit de se pencher sur le programme de certains pour s’apercevoir qu’ils vont en réalité aggraver les inégalités.
Emmanuel Macron prône par exemple la parité en politique, et a déclaré récemment à propos des élections législatives :
« Je veux qu’au moins la moitié de nos candidats puissent être des femmes et (…) je vous demande (…) de prendre ce beau risque pour faire vivre notre démocratie. »
Sauf qu’en réalité, c’est la loi, il n’y donc pas de grande avancée ici. Pour beaucoup de candidats, l’égalité des sexes est un trompe l’œil, une sorte de stratégie de communication, mais lorsque l’on regarde attentivement leurs propositions, notamment sur le plan économique, on se rend compte qu’ils font l’inverse et accroissent les inégalités.
Cette stratégie politique peut-elle réellement attirer un électorat féminin ?
Les femmes ne votent pas avec leurs ovaires. Elles votent avec leurs cerveaux, comme les hommes. Les gens ne votent pas uniquement – même si cela peut avoir de l’influence – en fonction de leurs conditions d’existence, de leur sexe, ou de leur couleur de peau. Ces facteurs peuvent entrer en jeu bien sûr, mais la plupart du temps, les citoyens choisissent un candidat en suivant leurs convictions personnelles. Que l’on ait un vagin ou un pénis, cela ne fait pas de nous quelqu’un de convaincu sur l’égalité femmes-hommes.
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