Premier film du metteur en scène roumain, “Poppy Field” suit les péripéties de Cristi, un policier gay roumain confronté à l’homophobie d’une partie de la société dans un huis clos captivant.
Depuis quelques années, on a pris l’habitude que le cinéma roumain nous envoie des films de très haut vol, du vétéran Lucian Pintilie (mort en 2018) à Cristian Mungiu. La sortie en France de Poppy Field (littéralement champ de coquelicots), premier film d’Eugen Jebeleanu, est une nouvelle bonne surprise. Ne serait-ce que parce que son sujet massif – l’homosexualité ordinaire dans une Roumanie qui peine à l’accepter – est abordé de biais par un “drame” domestique a priori anecdotique.
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Dans une rue de Bucarest, deux hommes se retrouvent pour un week-end amoureux : Cristi, la quarantaine virile, et Hadi, son jeune amant français de passage. Dans l’appartement de Cristi, sous la douche ou au lit, le sexe est explicite. Mais cette douce pornographie est interrompue par l’arrivée de la sœur de Cristi, plus que tolérante puisqu’elle suggère à son frère de faire découvrir à Hadi les beautés touristiques de la Roumanie. Cet encouragement chaleureux est à son tour interrompu par un appel téléphonique qui électrise l’intrigue : Cristi est flic, membre de la gendarmerie roumaine, et il est appelé en urgence pour intervenir dans une salle de cinéma où la projection d’un film lesbien vient d’être interrompue par des manifestants d’extrême droite.
Un huis clos physique, mais aussi mental
Dès lors, le film s’enferme littéralement dans la salle de cinéma et ses coulisses pour un huis clos nocturne où le confinement physique de Cristi, chargé avec ses collègues de contenir les outrances des manifestant·es réacs et la colère des spectateur·trices militant·es, est au diapason de sa claustration mentale. Le gendarme Cristi, qui cache officiellement son orientation sexuelle, se doit par devoir professionnel d’être impartial. Seulement, un des spectateurs est un ancien amant, qui le reconnaît et menace de briser son déni. Cristi, pour le faire taire, finit par lui casser la gueule. Autant dire que par-delà le récit d’un impossible coming-out, le dégoût de soi est le grand sujet de ce film subtil où, par exemple, l’homophobie supposée des collègues machos de Cristi est nuancée par une série de troubles confidences.
Le réalisateur, Eugen Jebeleanu, vient de la mise en scène de théâtre, mais son film n’est pas du théâtre filmé. En longs plans-séquences, la caméra à l’épaule colle à la peau moite de Cristi (l’extraordinaire Conrad Mericoffer), le perd parfois dans la foule, le retrouve seul, suant et muet, assis devant un écran de cinéma symboliquement sans images, comme lessivé par sa catatonie existentielle. Poppy field n’est pas seulement un film gay. C’est un bon film, gorgé de cinéma et de mystères.
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