Première signature de Livres Agités, nouvelle maison d’édition consacrée à la parution de primo-romancières, la jeune autrice Mona Messine signe “Biche”, un huis clos cruel et poétique sur le face-à-face d’un chasseur et d’un animal insoumis. Un conte écologique singulier et éclairé.
Comme dans un conte ou dans une fable, presque tou·tes les personnages du premier roman de Mona Messine ont un prénom. Humains comme animaux : le hérisson s’appelle Hakim, la vieille biche Élisabeth, le chien Olaf, le chasseur Gérald et le garde forestier Alan. Pourtant, loin d’une histoire pour enfants, c’est une tragédie cruelle, sauvage, presque mythologique, qui se dessine derrière la couverture graphique de l’ouvrage.
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À l’origine du projet romanesque, “il y a, surtout, un tableau, nous confie l’autrice de 30 ans. Diane et Actéon, exposé à la National Gallery de Londres. Titien peint en s’inspirant du mythe dans lequel la déesse transforme un homme, qui l’a regardée nue, en cerf pour le punir. Comment la biche est-elle passée du statut de déesse à victime, comment renverser ce destin ? Actéon le chasseur, dans les Métamorphoses, termine mangé par ses chiens… Mais Olaf, le chien de Biche, est trop loyal, ou trop soumis, tiraillé entre son maître et les animaux. Il n’appartient plus au règne animal, mais à celui des choses. Qui, alors, remettra le chasseur à sa place ?”
Derrière la partie de chasse, un réquisitoire militant
Huis clos théâtral, Biche orchestre la rencontre – l’affrontement – entre un groupe de chasseurs et leurs chiens, et une harde de biches et leurs faons. Alors que l’orage menace et que la nature bruisse d’angoisse et de colère, deux individus se détachent de leurs camps respectifs pour se faire face le temps d’une nuit de chaos. Tandis que l’un est armé d’un fusil et de cartouches meurtrières, l’autre résiste, ruse et refuse de se soumettre aux assignations des hommes, à la domination et à la violence.
Alors, derrière la partie de chasse aux airs de thriller forestier, c’est le canevas d’un réquisitoire tranchant, militant, actuel qui se dessine : “Qui n’a jamais ressenti l’épuisement, la fatigue, l’envie de simplement passer une journée agréable, de profiter des derniers rayons de soleil de l’été, celle d’être laissé tranquille ? s’interroge Mona Messine. Je voulais parler de l’impact qu’ont les violences quotidiennes, issues de la gratuité des actes, des incivilités, de la traque, du harcèlement. Je ne comprends pas la brutalité, elle abîme tout. On dit que les temps changent, mais je ne vois pas la loi changer, les violences sexistes et sexuelles ne sont pas traitées. On abîme la nature aussi, par désaffection. La beauté demande plus d’engagement.”
“De la poésie dans le roman”
La beauté, l’engagement… et l’agitation. C’est autour de ces trois notions que se sont retrouvées Mona Messine et ses éditrices Vanessa Caffin et Jeanne Thiriet, fondatrices et pilotes des Livres Agités, une nouvelle maison qui publie en cette rentrée son premier opus, avant de donner voix à d’autres primo-romancières et d’autres récits “traversés par l’écologie, le féminisme et la justice sociale.”
Avant de s’incarner dans Biche, l’écriture pour Mona Messine s’est animée en de multiples formes. Originaire du sud-est de la France, élevée à l’orée d’une forêt du Lubéron, la jeune femme – qui confie un goût pour la poésie, les romans de Zweig, d’Aki Shimazaki, de César Aira et des français Yannick Haenel et Mathias Énard -, s’est formée à l’école Les Mots, sous l’égide de Chloé Delaume notamment. Co-créatrice et éditrice depuis 2020 de la revue Débuts, qui déniche “des voix littéraires et poétiques émergentes”, Mona Messine envisage son art comme une manière “d’écouter et retranscrire la communication entre ce qui n’a pas l’air de se comprendre : végétal, animal, minéral, humains, genres, classes sociales, géographies.” Aujourd’hui, après avoir “modifié une trajectoire personnelle qui n’était pas si littéraire que cela”, elle “surfe et met de la poésie dans le roman”. Elle nous écrit pour conclure : “Je suis debout”.
Biche aux éditions des Livres Agités, 208 pages, 18,90 €
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