Si l’épopée historique explose au box-office américain, elle pose cependant de nombreuses questions éthiques, promouvant notamment une interprétation très occidentalisée, voire presque fétichisée, de la culture africaine.
Dans son nouveau film, Gina Prince-Bythewood (The Old Guard) met en scène les Agojie, une armée entièrement féminine de guerrières qui protégeaient la république du Dahomey (l’actuel Bénin) au XIXe siècle. The Woman King a beau s’ouvrir sur la promesse d’être “inspiré d’événements réels”, il s’inscrit dans la pure tradition d’un Hollywood à l’ancienne. Soit une épopée d’action historique qui, malgré tout l’exotisme de son cadre, se complaît dans une interprétation très occidentalisée, voire presque fétichisée, de la culture africaine.
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Pour un film qui prétend combattre les maux du colonialisme, il est ainsi étonnant de voir à quel point il s’inscrit dans une logique de colonisation de la culture de l’Afrique de l’Ouest. C’est bien là toute la maladresse de l’entreprise : combattre le blanchiment de l’Histoire et les films minimisant l’esclavage, et tenter de le faire en produisant simplement une “afro-fantaisie” qui s’éloigne de toute authenticité.
Une réinterprétation problématique de l’histoire
Côté récit, The Woman King épouse des enjeux et arcs narratifs prévisibles, mais qui ont fait toutes leurs preuves dans des épopées historiques à succès (Gladiator, Braveheart) vantant la noblesse de la juste vengeance. Un sentiment auquel le ou la spectateur·trice adhère difficilement tant les seul·es antagonistes introduit·es par le film (la tribu adverse des Oyo) sont réduit·es à une masse uniforme de brutes violeurs. Un véritable penchant pour les idéologies obsolètes, voire régressives, que le film, qu’il en soit conscient ou non, poursuit. The Woman King n’offre ainsi rien de subversif en ce qui concerne sa vision de la guerre. Bien au contraire, il nourrit généreusement la soif de sang de ses spectateur·trices à travers des séquences d’action viscéralement efficaces, galvanisées en discours nationalistes.
Mais le film en a encore sous la pédale niveau indécence lorsqu’il érige et glorifie la république du Dahomey en paradis proto-féministe et abolitionniste – ce même empire qui a été fondé sur le dos des esclaves africain·es et complice volontaire d’un cinquième de la traite négrière transatlantique. En recouvrant et en invisibilisant les actes historiques du Dahomey, Gina Prince-Bythewood plaque sans aucune responsabilité le féminisme du 21e siècle sur une faction historiquement brutale et meurtrière. Et contrairement à ce qu’énonce le film, le royaume ne voulait pas mettre fin au commerce extrêmement prolifique de la traite des esclaves par culpabilité, mais suite à un blocus des Britanniques. Le cinéma, dans sa nature même, a toujours eu à voir avec le faux, mais faire du Dahomey un phare du féminisme et de l’humanisme éclairé s’approche très clairement du contre-sens historique absolu.
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