Le projet Disposable Perspectives consiste à distribuer des appareils jetables dans les camps de migrants parisiens pour mieux montrer leur quotidien. Exposée à Londres, la série de 181 photos, saisissantes, devrait être prochainement amenée à Paris. Rencontre avec Amy Lineham, initiatrice du projet.
Quel type de photos espériez-vous ramener en démarrant ce projet auprès des migrants ?
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Je cherchais à obtenir une série de photos montrant la singularité de chacun, leur individualité, le fait qu’ils sont de bonnes personnes et pleins d’espoir. Elles montrent qu’ils sont bien plus que des passagers clandestins, des réfugiés ou des migrants. Même s’ils le sont.
Finalement, que montrent les photos qu’ils vous ont ramenées ?
Chaque personne a utilisé l’appareil à sa façon. Certains ont plutôt choisi de photographier les camps, d’autres sont allés se balader avec dans Paris. Cela donne des photos très intéressantes, on les voit devant le Moulin Rouge, le Sacré Cœur, la Tour Eiffel, au Louvres… Ils trouvaient ces endroits beaux et les ont photographiés. Il y a pas mal de selfies et de photos d’amis, de groupes. C’est justement ce qui rend la série passionnante, ces gens sont comme nous, aspirent aux mêmes choses, voient le monde comme nous mais dans des circonstances et dans un environnement radicalement différents.
Quand vous êtes-vous rendue en France pour réaliser ce projet ?
Je me suis d’abord rendue à Calais début novembre, puis directement à Paris où je suis restée six semaines. J’ai vu les journalistes qui venaient couvrir les conditions de vie des migrants ou les expulsions, ils n’allaient pas réellement à leur rencontre. Ça m’a fait réfléchir à ce qui pourrait être la meilleure manière de donner une voix à ces gens. C’est là que l’idée des appareils photos m’est venue.
Est-ce un sujet qui vous touche, en amont de Disposable Perspectives ?
Je suis étudiante en médecine, mais je prends une année sabbatique. A la base, je ne suis pas engagée dans ce domaine. Ça n’est qu’une fois arrivée à Calais que j’ai compris l’ampleur du problème et que j’ai lié cela avec le journalisme.
Quelle a été la réaction des migrants que vous avez rencontrés lorsque vous leur avez expliqué votre démarche ?
J’ai donné un appareil chacun à quinze migrants. Ils étaient très enthousiastes devant la démarche, ils appréciaient d’avoir l’opportunité de pouvoir s’exprimer. Il y a par exemple eu cet homme qui aimait beaucoup l’idée, mais qui ne pensait pas pouvoir prendre part au projet. Il ne voulait pas attirer l’attention se sachant clandestin, et ne savait pas comment allait réagir la police au fait qu’il prenne des photos. J’ai du lui faire comprendre que son opinion avait de la valeur et qu’il fallait que les gens l’entendent et l’écoutent.
Vous êtes-vous intéressée à leurs parcours ? A leurs histoires ?
Je n’ai pas forcément cherché à connaître leur histoire, ça n’était pas ma démarche. Dans le cadre de Disposable Perspectives, tout ce que nous voulions savoir était leur nom, leur âge et d’où ils venaient. Le but était vraiment de leur donner la parole à travers ces photos, le reste leur appartient.
Avez-vous réussi à tous les récupérer tous les appareils jetables ?
Je n’ai pu récupérer que huit appareils. Plusieurs choses sont arrivées. J’ai reçu un message de l’un d’eux m’expliquant que son appareil avait été confisqué par la police. Il dormait dans la rue et s’est fait dégager. Ils lui ont pris ce qu’il avait, son sac dans lequel était l’appareil. Il était tellement désolé… Il y a eu des pertes aussi bien sûr.
En parlant de la police, avez-vous vu des différences de traitement de ces problèmes entre la France et l’Angleterre ?
C’est difficile de comparer. Les circonstances sont très différentes des deux côtés de la Manche. Les politiques de frontières n’ont pas grand chose à voir. En Angleterre, nous n’avons pas de grands camps de migrants ou de réfugiés. La réponse de la police à ces problématiques n’est donc pas la même. Mais j’ai beaucoup d’anecdotes sur la violence de la police en France, des témoignages…
Pourquoi avoir choisi la photo comme mode d’expression ?
J’ai toujours été très intéressée par la photo, je ne peux même plus me rappeler depuis quand. J’utilise moi-même beaucoup d’appareils jetables. D’ailleurs, aucune des personnes à qui j’ai confié un jetable n’en avait utilisé avant. C’était drôle, ils appuyaient sur le bouton et me demandaient : « Mais… Où est la photo ? » C’était tellement arriéré pour eux, alors que cela revient à la mode chez nous.
Comptez-vous exposer en France prochainement ?
J’aimerais aussi que ces photos soient mises en ligne et archivées, car je ne peux pas les montrer à tous ceux qui sont dessus. Je vais essayer d’exposer à l’automne, mais le projet doit mûrir avant cela. Mais il me faut des soutiens à Paris pour cela, ça n’a déjà pas été simple de trouver un endroit à Londres. Je vais entrer en contact avec des galeries cet été, le public français est réceptif au projet.
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