Le rappeur niçois Inifinit’ revient avec un nouveau projet, « NSMLM » (pour Nique sa mère le maire), sorti chez Don Dada et contenant une variété de sons bluffante. Pas tout à fait sorti de son procès contre le maire de Nice Christian Estrosi, qui traîne depuis 2014, il parvient tout de même à avancer et à proposer un projet saisissant.
Infinit’ s’était fait discret depuis deux ans. En solo en tout cas. Avec son nouveau projet, NSMLM, il refait parler de lui, et en bien. Le premier extrait, Intro, a tout de suite souligné sa volonté d’être légèrement à contre-pied, dans un rap plus lyrique que mélodique, plus orienté dans le classicisme.
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Sauf que. Le second extrait est arrivé jeudi, et a finalement bien brouillé les pistes. Laisse Nous est sous perfusion d’auto-tune, résolument moderne, et nous fait comprendre que la palette technique du Niçois est balèze. NSMLM est en effet un très beau condensé d’époques, de flows, de rythmes et de thèmes tous différents. Et garde sa cohérence.
Le titre qui change tout
Le rappeur a déjà pas mal de faits d’arme. Une participation au collectif D’en Bas Fondation, plusieurs projets solo comme HDS et Ma vie est un film… Et surtout un EP commun avec DJ Weedim en 2014, sur lequel on retrouve un titre qui a changé la carrière d’Infinit’ : Christian Estrosi.
A l’époque, Estrosi a lâché les rênes de la mairie de Nice, mais est encore le principal homme politique local. Le morceau d’Infinit’ est une sorte d’ego-trip à la gloire de l’ancien maire, un fantasme sur sa vie d’édile et, selon le rappeur, de parrain politique local. « Rolex / 15 000 / Pétasse, moi c’est Christian », scande Infinit’. Autant tuer tout de suite le suspense, le principal intéressé n’a vraiment pas apprécié. Il porte plainte et demande à ce que la chanson soit retirée de Youtube. « J’ai été relaxé en correctionnelle lors du premier jugement, et il a fait appel, raconte Infinit’. La cour d’appel a confirmé le premier jugement, et là, il a fait un recours en cassation. Donc j’attends. La procédure est longue, il lâche pas l’affaire. »
Persona non grata à Nice ?
Estrosi et son équipe n’ont pas vraiment capté le second degré du morceau.
« Ça n’était pas du tout une attaque, c’était une dédicace et une manière de dire ‘Moi aussi je veux en être’, un délire ego-trip. Le mec il est où il est sans diplôme, juste en étant pilote de moto. Il finit maire, puis au conseil régional… C’est une histoire de fou. Je voulais montrer que ça existe encore ce genre de parcours. J’ai toujours voulu bien expliquer la démarche du morceau. Dans la presse d’abord quand j’ai commencé à être attaqué, puis au tribunal. Mais je pense qu’au début, Estrosi n’a pas écouté le titre. Ça a du faire un peu de bruit, ça a du tourner, et quelqu’un a du le mettre au courant et lui dire de m’attaquer. Et il ne paye pas ses avocats, lui, c’est facile. Il peut attaquer quinze personnes par jour. Je ne suis pas stupide, je comprends ce qui a pu l’amener à m’attaquer. Mais je pense surtout qu’il n’a pas cherché à comprendre le titre. Il est passé chez Ardisson cette semaine, ils lui ont joué le morceau, il avait pas l’air traumatisé, il avait le sourire… Il aurait du le prendre comme ça dès le début. »
Deux choses : la première, c’est que la carrière d’Infinit’ se retrouve menacée. Il peine à se produire à Nice, les organisateurs d’événements financés ou subventionnés par la mairie reçoivent des coups de fil leur demandant de déprogrammer le rappeur.
« Il y a eu des complications, mais jamais officiellement. Pas de note disant que je n’avait pas le droit de jouer, où quoi que ce soit du genre. Lors d’un concert avec Alpha Wann, je faisais les balances, et un mec est venu me voir pour me dire qu’un autre type avait appelé la mairie pour les prévenir que j’allais jouer. Ils voulaient arrêter tout le concert. Même pas me déprogrammer, mais tout annuler. C’est arrivé plusieurs fois. Je ne sais même pas si je peux jouer à Nice ou pas aujourd’hui. Des trucs privés, ça devrait aller, mais il ne faut pas que la mairie subventionne ou organise le concert. »
Nice sur la carte
La seconde, c’est qu’Infinit’ a bien gagné en visibilité grâce à cette sombre histoire. « Ça reste un seul morceau parmi tous mes projets. Maintenant, c’est la suite qui est importante. » La suite, certes, mais on comprend mieux pourquoi son nouveau projet s’appelle NSMLM, pour « Nique sa mère le maire », célèbre punchline tirée du film La Haine.
http://www.youtube.com/watch?v=k1z35tUDknw
Même s’il vit aujourd’hui à Antibes, Infinit’ est Niçois de cœur. Une ville qui a eu bien du mal à se placer sur la carte du rap français, malgré sa taille et son réservoir de talents.
« A une époque, Akhenaton a signé quelques groupes du coin comme Chien de Paille, Mic Forcing… Ils avaient créé la Cosca Team avec les gars d’IAM. Ca faisait pas mal parler, mais ensuite, la scène niçoise a moins rayonné. En même temps, la région ne s’y prête pas. Il ne se passe pas grand chose niveau événements rap. Les gens ont peur. Avant, les concerts de rap partaient souvent en cacahuète. C’était le cas partout, mais Nice avait vraiment cette réputation. Les gros concerts partaient tout le temps en couille. C’était il y a longtemps mais depuis, c’est galère d’avoir des salles. »
Autres époques
Résultat, il part régulièrement enregistrer à Paris. Comme pour cet excellent titre présent sur NSMLM, Sud-Est. Un morceau bien estampillé old-school avec des scratchs en guise de refrain. Une denrée rare en 2017.
« On n’en entend plus dans le rap français. D’ailleurs, c’est mon tout premier titre avec des scratchs. C’est DJ Pone qui les a fait, merci à lui. On était en train de finir l’instru au studio à Paris, j’avais les couplets, mais je bloquais pour le refrain. J’ai envoyé un message à Pone parce que je savais qu’il me suivait, il a été hyper vif. La veille il jouait à Bordeaux. Il est arrivé de la gare avec sa valise, il a branché son matos, il a scratché un quart d’heure, il a repris sa valise et il est parti. »
En fait, Infinit’ est ce genre de rappeur qui met un point d’honneur à ne pas faire deux fois le même titre. Pour beaucoup, c’est une intention, une manière de présenter leur musique, du baratin. Pour Infinit’, c’est clairement vrai. Et réussi.
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