Que fait une bande dessinée dans la liste des romans étrangers du Prix Médicis 2022 ? Nelly Kaprièlian interroge cette décision dans son édito de la semaine.
J’avoue avoir été surprise de trouver une bande dessinée dans la première sélection romans étrangers du Prix Médicis. Il s’agit du Secret de la force surhumaine d’Alison Bechdel, qui vient de paraître chez Denoël Graphic. Même s’il y a déjà eu un précédent célèbre – un prix Pulitzer spécial attribué à Maus d’Art Spiegelman en 1992 –, et même si personnellement je trouve le Bechdel excellent, il n’en reste pas moins une bande dessinée, et je ne vois pas le rapport avec, disons, le magnifique livre, dans la même sélection, de Maria Stepanova, En mémoire de la mémoire, paru chez Stock, pour ne prendre qu’un exemple.
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Le geste du jury Médicis repose la question du statut littéraire de la BD. Si la bande dessinée est sans conteste un art, est-ce de la littérature ? Est-ce la même chose, et est-ce utiliser les mêmes outils, que de décrire des images avec des mots et de les dessiner, de les suggérer avec des mots et de montrer des images, même si celles-ci sont accompagnées de brefs textes ?
Féminisme washing ?
Je ne pose pas ici la question d’une hiérarchie, genre est-ce que la BD mérite de figurer à égalité avec le roman. Je me pose juste la question d’un amalgame, un peu rapide, sous prétexte non pas de vouloir défendre la bande dessinée, mais de s’en servir comme d’un faire-valoir pour renvoyer un signe, voire deux : 1) paraître cool 2) se revendiquer féministe (Bechdel donne son nom à un test fameux à appliquer au cinéma pour savoir si un film utilise des personnages féminins pour elles-mêmes ou, comme souvent, seulement en relation avec les héros masculins).
Le problème, c’est que ce geste envoie au contraire d’autres signes, aussi méprisants pour le roman que pour la BD. Celui, d’une part, de dénaturer le principe même et la difficulté même de la littérature – se servir exclusivement de mots –, et mépriser celui de la bande dessinée – le graphisme –, faire passer le dessin à la trappe comme s’il ne comptait pas, sous prétexte qu’elle serait “littéraire”. Toute la particularité, tout l’intérêt de l’art qu’est la BD, c’est d’être hybride, inclassable. C’est pourquoi les grands prix devraient sérieusement penser à ajouter, à leurs rituelles catégories romans français, étrangers et essais, la catégorie bande dessinée.
Édito paru dans la newsletter livres du 22 septembre 2022
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