Depuis son apparition sur l’échiquier politique, Brigitte Macron est la cible privilégiée de remarques sexistes sur son âge, comme beaucoup de femmes qui fréquentent des hommes plus jeunes. Inversement, les hommes ne semblent pas subir un « age-shaming » aussi violent. Pourquoi ?
« C’est le mari de Madame Cougar.” Cette saillie sexiste est le fruit de la parole décomplexée de Jean-Marie Le Pen. Interrogé, jeudi 27 avril, par une journaliste de la Nouvelle Edition sur l’adversaire de sa fille au second tour de la présidentielle, l’ancien leader du Front national n’hésite pas à s’en prendre à Brigitte Macron… et à son âge.
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Depuis son apparition sur la scène médiatique, la femme du président français a été victime de nombreuses attaques sur sa différence d’âge avec son mari, soit 25 ans. La dernière en date ? La une de Charlie Hebdo du 10 mai où Emmanuel Macron touche le ventre étonnamment bombé de sa femme avec comme sous-titre « Il va faire des miracles ».
Sexiste et basse du front, la une de Charlie Hebdo de demain pic.twitter.com/ZtK1pzkajJ
— Johanna Luyssen (@johannaluyssen) 9 mai 2017
Un équivalent de cougar ?
Si Brigitte Macron n’est pas la première femme, et sûrement pas la dernière, à être qualifiée de cougar, cette énième discrimination sur son âge pose une question : les hommes sont-ils eux aussi critiqués pour leur âge et quand ils fréquentent des femmes plus jeunes ? De l’autre côté de l’Atlantique, Donald Trump est sujet à de nombreuses remarques désobligeantes, autant sur son physique que sur sa manière de gouverner, mais pas sur sa relation avec sa femme. Melania Trump a pourtant 23 ans de moins que lui. Etrangement, le président américain n’est pas victime « d’age-shaming », cette pratique qui consiste à discriminer une personne en raison de son âge. Et même s’il était, quel mot pourrait-il être utilisé ?
« Cougar », ce terme popularisé ces dernières années par l’actrice Demi Moore ou la chanteuse Madonna, désigne une femme qui a choisi un partenaire plus jeune qu’elle. Il est intéressant de remarquer qu’il n’a aucun équivalent masculin. Une personne qui voudrait se moquer d’un Donald Trump aurait ainsi bien du mal à trouver le mot adéquat, souligne Lucie Barque, linguiste qui travaille au Laboratoire de linguistique formelle (LLF) :
« Il y a un lexique qui tourne autour de ce terme cougar, mais à chaque fois ce n’est pas le stricte équivalent. L’expression un « vieux beau », par exemple, pour parler d’un homme âgé qui veut paraître jeune. Un trait commun avec la cougar. Mais un « vieux beau » ce n’est pas forcément un homme qui a des relations avec filles plus jeunes. Il y a aussi la paire « sugar daddy/sugar baby », qui n’est pas encore entrée dans un dictionnaire. Elle désigne une relation entre deux personnes qui signent un contrat, ce qui n’est pas le cas de la cougar. Il existe pas mal de termes autour qui touchent aux hommes dans ces relations, mais il n’y a pas d’équivalence stricte, parce que la même relation inversée n’est pas perçue comme un phénomène nouveau, mais est surtout considérée comme normale. »
Un schéma naturalisé
Un homme qui entretient une relation avec une femme plus jeune ne serait donc pas un phénomène nouveau et ne mériterait pas de terme pour s’y référer. « L’absence d’un terme reflète le fait que ce n’est pas considéré comme problématique ou comme déviant : on ne nomme pas les choses qui semblent aller de soi », confirme la sociologue Juliette Rennes, auteure de L’Encyclopédie critique du genre (éd La Découverte). Elle ajoute que :
« Ce schéma n’est pas vu comme anormal du fait même que toute notre éducation, toutes nos lois sont organisées pour naturaliser l’écart d’âge entre homme et femme. Ce n’est que depuis 2006 que l’âge légal du mariage des femmes et des hommes est identique. Jusqu’à cette date, l’âge nubile, l’âge légal pour se marier, était de 15 ans pour les filles et de 18 ans pour les garçons. Cette loi traduisait l’idée qu’il était naturel que les femmes se marient plus jeunes que les hommes, sous-entendu avec des hommes plus âgés. Cet écart d’âge n’était pas questionné. »
Une étude de l’Insee de septembre 2016 semble aller dans le sens de l’analyse de Juliette Rennes. En 2012, l’homme est plus âgé que la femme dans 56 % des couples. L’écart d’âge est d’environ 2,5 ans. Si la société tend à moins moquer les hommes pour leur âge ou pour le fait qu’ils fréquentent des femmes plus jeunes, c’est parce que cette pratique est totalement intériorisée, héritée de notre ancien modèle patriarcal.
Eric Macé, sociologue et auteur du livre L’Après-Patriarcat (éd Seuil), rappelle ainsi : « Notre héritage culturel du patriarcat fait considérer comme normal qu’un conjoint soit plus âgé que sa conjointe, écho pas si lointain où la définition sociale des femmes se faisait par la conjugalité reproductive. D’où la nécessité que les épouses soient fertiles et en bonne santé, notamment afin de ne pas mourir en couches, donc jeunes, les hommes étant relativement moins concernés par cette horloge biologique de la fécondité.”
Inégaux face au vieillissement
Plus largement, les hommes et les femmes ne semblent pas égaux face aux marques du vieillissement, et à la perception que la société en a. Aveuglés par les stéréotypes, nous allons plus facilement glorifier un homme qui vieillit et stigmatiser une femme qui vieillit. La pression sociale n’est pas la même pour les deux sexes, relève Juliette Rennes :
« On voit bien qu’il y a une pression sur les femmes de 60 ans, surtout dans les classes dominantes, pour maintenir une apparence plus jeune. On est moins focalisé sur les marques physiques du vieillissement chez les hommes. Un article fameux de l’essayiste Susan Sontag, paru en 1972, a montré que, pour les hommes, il y a deux modèles de beauté, le jeune homme et l’homme mûr, alors que les femmes n’avaient comme modèle hégémonique que celui de la jeune femme. Les choses ont peu changé. En avançant en âge, les femmes adultes sont censées lutter pour rester près de ce modèle de séduction lié à la jeunesse. On n’a pas re-signifié positivement les signes de l’âge comme des marques liées à l’expérience, à la stature, au vécu d’aventures diverses, à l’acquisition de formes nouvelles de pouvoir, comme on le fait plus souvent pour des hommes vieillissants. On est socialisé à pouvoir trouver beaux certains hommes de 50, 60 ans malgré ou avec leurs rides, ou leurs cheveux grisonnants, surtout s’ils ont un statut social valorisé, ce qui est beaucoup plus rare pour les femmes dans la même situation. »
Selon Eric Macé, ces discriminations sexistes face à l’âge sont encore dues à un héritage du patriarcat, où l’homme en vieillissant « augmentait son pouvoir économique et social », et la femme, elle, « perdait son capital corporel : sa beauté et sa fécondité ». Des stéréotypes qui n’ont plus lieu d’être mais qui persistent malgré tout. Juliette Rennes cite par ailleurs une étude intéressante qui illustre bien cette asymétrie des sexes face au vieillissement :
« Des travaux de sciences sociales ont montré que les femmes qui deviennent des hommes trans « rajeunissent » : une personne trans de 40 ans devenue homme tend à être perçue comme « plus jeune » qu’elle ne l’était en tant que femme, bien que son âge civil n’ait pas changé ; du moment où on catégorise une personne comme étant un homme, on s’intéresse moins à ses rides ou ses poches sous les yeux… Inversement les hommes qui deviennent femmes à 40 ans se rendent souvent compte de l’âgisme qui pèse sur les femmes. »
« L’age-shaming » touche aussi les hommes
Les hommes seraient donc totalement immunisés contre « l’âge-shaming »? Il faut nuancer ce constat. Dans le passé, les hommes qui fréquentaient des femmes plus jeunes étaient aussi pointés du doigt rappelle Sylvie Steinberg, historienne et directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) : « Si on remonte au Moyen Âge ou dans l’Ancien Régime vous allez trouver d’abord des représentations négatives des vieux hommes qui courtisent des jeunes femmes, dans le théâtre de Molière par exemple, avec des moqueries sur le mode de l’impuissance des vieux maris, du risque qu’ils courent à être cocus ».
Ce genre de moqueries n’ont, en effet, pas complètement disparu confirme Juliette Rennes : « L’écart d’âge peut aussi être stigmatisant pour des hommes, notamment lorsqu’ils sont beaucoup plus âgés que leur partenaire. Il existe toujours le soupçon que l’une échange sa beauté et sa jeunesse et l’autre son argent et son statut social. Or, cet échange qui était tout à fait admis dans le mariage arrangé traditionnel fait désormais l’objet de critiques ; ce genre de couple doit toujours donner des preuves d’amour. »
Selon la sociologue, nous sommes dans une société “agiste” qui tend à stigmatiser les deux sexes. Pour les hommes, « l’age-shaming » apparaît plus tard, au moment où ils quittent le monde du travail. Dans une société organisée autour du travail, en sortir est vécu comme un stigmate, une forme de disqualification sociale. « Les hommes, en tous cas ceux des générations aujourd’hui à la retraite, peuvent être plus à même de souffrir de ce discrédit s’ils se sont entièrement consacrés à leur travail salarié, plutôt qu’à des activités familiales, relationnelles ou domestiques que l’on peut poursuivre une fois que l’on n’a plus de statut professionnel », ajoute-t-elle.
Malgré une forte persistance de stéréotypes sexistes, la société semble cependant aller vers une disparition progressive de certains ressorts de « l’âge-shaming ». L’étude publiée par l’Insee en septembre 2016 démontre ainsi qu’au sein des personnes diplômées, l’écart d’âge est nul ou très faible, ce qui tend à renverser le modèle établi. Elle indique aussi que le pourcentage de couples où la femme est plus âgée que l’homme est passé de 10 % dans les années 1960 à 16 % dans les années 2000. Une timide évolution mais qui permet d’espérer une normalisation de cette configuration du couple, et moins de moqueries.
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