À la galerie Mitterrand à Paris, l’artiste iranien Mamali Shafahi tisse un univers halluciné où l’histoire, la grande et la petite, prend des allures de remontées acides. Un bestiaire enchanté et tuné, ouvrant sur une quête familiale.
On se demande bien ce qui a pu traverser l’esprit de Mamali Shafahi. Dès le seuil de la galerie, le bad trip s’annonce par une explosion de coloris d’ordinaire proscrits en ces murs policés : rose néon, violet carrosserie, vert acide. Tout cela poudroie et scintille, voire s’agite d’un hoquet mécanique d’attraction foraine.
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Les hauts-reliefs ou sculptures murales mènent à une structure animée, tunée à partir d’un jeu pour enfant sur ressort, jusqu’à l’ultime salle, voilée d’un rideau, dévoilant une ambiance de labyrinthe laser tout autant qu’un temple à une ultime figure. Il en va, au sein de la première exposition de l’artiste iranien à la galerie Mitterrand à Paris, d’une procession fiévreuse de créatures à la fois grotesques et monstrueuses.
Alchimie transtemporelle
Profils humanoïdes entremêlés, gueules de babouins ou de cobra déchaînés, et hybrides polymorphes interespèces s’allient, au second regard, aux éléments architecturaux faisant signe vers une monumentalité traditionnelle. Ici, un crénelage de forteresse, là une arche ciselée. Alors, ces profils hiératiques aux longs cils et barbes taillées, ces créatures animales majestueuses, on jurerait les avoir déjà vues.
Et si l’on tombe de Charybde en Scylla, d’un vocabulaire hyperpop accéléré aux remontées de temporalités séculaires, c’est que Mamali Shafahi, précisément, fait œuvre d’alchimiste. Sa mythologie syncrétique tisse des fils et met en fusion, mais coupe toute amarre trop facilement identifiable.
Car il n’en va pas uniquement d’un vacillement frénétique entre passé et futur, arts préislamiques et jeux vidéo, haute et basse culture, mais plus profondément d’une exploration de ces passerelles mêlées en une danse infernale au sein d’un creuset intime, et d’une histoire personnelle.
La création, une histoire génétique ?
Certain·es, ainsi, se rappelleront peut-être de la double présentation du fils, Mamali Shafahi, et du père, Reza Shafahi, au sein de l’exposition Prince·sse·s des villes au Palais de Tokyo en 2019. Désireux d’explorer les relations familiales et le patrimoine génétique, l’artiste avait en effet demandé à ce dernier de se mettre au dessin et à la peinture : manière d’explorer les voies obscures de la création, sa transmission et sa métamorphose.
Ici, et dans ses œuvres récentes, Mamali Shafahi, diplômé en 2008 des Beaux-Arts de Cergy, plonge en apnée dans l’iconographie des œuvres graphiques de son père. Transposées en trois dimensions, elles sont passées au prisme de sa sensibilité les deux pieds ancrés dans un intérêt pour les nouvelles technologies – en duo avec Ali Eslami, il est également réalisateur de films en réalité virtuelle.
S’il est vrai que l’univers des jeux vidéo perpétue, voire renforce, les stéréotypes culturels, ainsi que s’emploie à le démontrer la chercheure Lisa Nakamura, l’écueil est ici dépassé. Parce que Mamali Shafahi s’appuie sur les structures mythiques et les représentations fantastiques, il orchestre, plutôt qu’un dédoublement digital flottant, un retour à un réel à la fois familial et universel, symbolique et sensuel.
Mamali Shafahi. Deep Throats: Go Deeper, du 8 septembre au 29 octobre à la galerie Mitterrand à Paris.
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