Une fiction poids plume mais d’une grande force par un maître du documentaire. “Un couple” à découvrir absolument.
Il y a d’abord le bruit du vent. C’est la Bretagne, Belle-Île, et les vagues sauvages éclatées sur les roches. Puis il y a cette femme superbe posée dans l’herbe, vêtue de noir et de blanc, couverte d’un châle aux fleurs vives. C’est Sophia, la femme de Léon Tolstoï avec qui elle a formé un couple hors norme : trente-six ans de mariage, 13 enfants et un amour pétri par des disputes d’une violence infinie.
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Pour raconter ces déchaînements, Nathalie Boutefeu, seule dans le film, déclame son texte, des correspondances adressées à son mari qui narrent la souffrance absolue ayant traversé son mariage. Boutefeu est d’une grâce sans merci, elle a la diction d’une enfant miséricordieuse, le visage d’une femme éternelle, à la fois du XIXe et d’aujourd’hui. Ses yeux, sa bouche, ses rides, tout est extrêmement beau et rend le texte épistolaire, retravaillé par Wiseman, immédiatement accessible, évident. Elle en fait une grande exploration du sentiment amoureux et de ses plus profondes contradictions, une étude enfermée dans les paradis perdus.
Retour à la simplicité
Les mots se font écho dans les jardins merveilleux, cette nature qui contraste avec la noirceur du texte. La force du monologue, au-delà d’interroger les affres de l’amour et ses agitations les plus sombres (des idées suicidaires et un infanticide prénatal), est de trouver sa voie au rythme de l’île. Le film demande comment la parole se déploie, se répand, quel est son cheminement sinueux : parmi les arbres et les animaux, comment le feu du verbe peut-il prendre ?
Avec Un couple, c’est comme si Frederick Wiseman, après six décennies de cinéma, entre la France et les États-Unis, à interroger le réel, les institutions, avec de longs documentaires, devait revenir, à 92 ans, à quelque chose de plus simple : un film d’une heure, avec une femme, dans un jardin. Un couple est ainsi le contrechamp de tout son cinéma, et c’est finalement son auscultation la plus intime, celle de la vie de couple, du mariage et de l’épuisement du désir.
Un couple de Frederick Wiseman, avec Nathalie Boutefeu (É.-U., 2022, 1 h 03). En salle le 19 octobre.
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