Sara Jaramillo Klinkert avait 11 ans quand son père, un célèbre avocat, a été abattu par un tueur à gages. Et raconte aujourd’hui cette histoire intime sur un deuil impossible.
Elle s’en souvient très bien. C’était un samedi, à bord de la voiture familiale. Elle était assise à l’arrière avec ses frères, leur mère était à l’avant et leur père conduisait. Une moto qui les doublait a ralenti et le passager a pointé le canon d’une arme vers la tête de son père, mais il a croisé son regard à elle, la petite fille, effrayée, les yeux grands ouverts. Il n’a pas tiré et la moto a disparu dans la circulation. Une semaine après, le célèbre avocat était abattu selon le même mode opératoire alors qu’il circulait, seul, dans Medellín.
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Les silences à l’œuvre
Ce n’est ni une enquête ni un livre d’histoire : Sara Jaramillo Klinkert n’a pas choisi de nous raconter les cartels de la drogue dans la Colombie des années 1990 ou la vie de Pablo Escobar. De façon plus intime, plus universelle aussi, l’autrice montre comment, dans une société ligotée par le règne du non-droit et de la violence, une famille va exploser en plein vol.
Elle observe la façon dont ils et elles ont réussi, ou pas, à se reconstruire
Elle organise patiemment ses souvenirs à partir de la mort du père, accumulant de menus détails – elle jouait à la Nintendo quand elle a appris le drame, ses frères étaient à l’école et sa mère absente. À partir de là, elle observe la façon dont elle-même, sa mère, son grand frère et ses trois petits frères – des triplés – ont réussi, ou pas, à se reconstruire.
Jaramillo Klinkert ausculte les mécanismes de défense qui se mettent en place, les silences à l’œuvre et la lente déflagration que produit le choc de perdre ainsi un père quand on est encore petit·e. “Chacun a bâti des murailles autour de soi, une manière de se protéger, de rester debout, d’affronter les nouvelles règles que la vie nous avait imposées.”
Une remarquable sobriété
Il a fallu des années, et une longue résidence d’écriture à Madrid, pour qu’existe ce livre, dans lequel Klinkert campe également, avec lucidité, le milieu privilégié où elle a grandi. Elle raconte encore la lente descente aux enfers d’un des triplés et les réactions de survie, diamétralement opposées, des deux autres. Elle se souvient de la carapace que se construit sa mère, seule soudain avec cinq enfants. Elle confie avoir malgré elle endossé un rôle de mère de substitution, bien trop lourd à porter.
C’est à la toute fin du livre que Jaramillo Klinkert revient à la réalité de la Colombie dans les années 1990
Il y a aussi les conséquences, longtemps après le drame, sur sa vie d’adulte et ses relations amoureuses, et le compte des étapes par lesquelles elle a dû passer pour parvenir à écrire son texte. Cette capacité à rester dans le factuel, à agencer les détails pour échafauder un ensemble cohérent, sans commentaires analytiques, donne à sa phrase une remarquable sobriété.
Et c’est à la toute fin du livre, du fait d’une rencontre que l’on ne dévoilera pas, que Jaramillo Klinkert revient à la réalité de la Colombie dans les années 1990, sort de sa stricte histoire familiale et personnelle pour nous livrer de plein fouet, dans un dénouement inattendu, toute l’horreur absurde qui plane sur un pays dominé par la mafia.
Comment j’ai tué mon père de Sara Jaramillo Klinkert (Stock), traduit de l’espagnol (Colombie) par Anne Plantagenet, 200 p., 18,50 €. En librairie le 5 octobre.
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