Dernière version en date de l’un des grands jeux de combat japonais, « Tekken 7 » soutient sans mal la comparaison avec la concurrence « Street Fighter » malgré un mode online défaillant à son lancement. Mais il réaffirme surtout la personnalité charnelle d’une série qui, au fond, ne ressemble à aucune autre.
« A nos yeux, Tekken 3 était le jeu le plus romantique de tous les temps. Nous projetions l’image sur le mur, presque à taille humaine, et nous essayions de rentrer dans ces combats. Nous luttions l’un contre l’autre au sol, une œuvre comme si nous faisions violemment l’amour. C’était vraiment fun. » Ces mots d’Auriea Harvey, moitié du couple / duo d’artistes / studio de développement Tale of Tales, alors en pleine production de Sunset, nous avaient un peu surpris. Comment les plus sensibles et sophistiqués des concepteurs de jeux, chez qui on avait plus distinctement relevé l’influence de Marguerite Duras (Bientôt l’été) ou de Georgia O’Keefe (Luxuria Superbia), pouvaient-ils s’intéresser à Tekken, série de jeux de combat japonaise qui, jusqu’à preuve du contraire, n’était ni la plus subtile, ni la plus flamboyante des représentantes du genre ? Et si, en lui préférant la reine Street Fighter, la rigoureuse Virtua Fighter ou les variations 2D dandy d’Arc System Works (Guilty Gear, BlazBlue), on était passé à côté de quelque chose ?
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La sortie de Tekken 7 est sans doute l’occasion idéale de réévaluer la saga de Katsuhiro Harada qui, ces dix ou douze dernières années, a connu des hauts (notre chouchou : Tekken Tag Tournament 2) mais aussi quelques bas. A condition, cependant, de croire sur parole son éditeur Bandai Namco qui promet de régler rapidement les problèmes de son mode online, lequel était encore calamiteux, en tout cas sur PS4, quelques jours après son lancement. Au moment d’écrire cet article, on n’avait ainsi toujours pas pu disputer le moindre combat en ligne, chaque tentative se concluant sur le même message laconique : « La connexion avec l’adversaire a été perdue. » Alors on prend son mal en patience et on s’entraîne en solo après avoir choisi son personnage favori. Pour nous, ça va de soi, ce sera Panda, le sympathique plantigrade femelle portant une casquette rose, des bracelets dorés et un sac à main en forme de fleur de tournesol.
La première spécificité de Tekken vient de son système de contrôle. Si les coups spéciaux nécessitant de réaliser des combinaison de touches dans le bon timing sont bien présentes, la base est sensiblement différente de celle des autres jeux de baston. Pas de distinction, ici, entre coups fort et faibles ou de bouton pour parer mais une interface d’une lisibilité absolue : à chacune des quatre touches de la manette correspond un membre de notre combattant, bras ou jambe. Diriger un personnage de Tekken, c’est devenir son marionnettiste, c’est faire de lui notre poupée dansante, quand bien même celle-ci aurait l’allure d’un vieillard musculeux arborant des cornes de cheveux de chaque côté de la tête. Car ces « marionnettes » ne sont pas des petites choses aériennes. L’autre grand signe distinctif de Tekken est là : dans la manière dont ses corps imposent leur présence à l’écran, leur force et, surtout, leur lourdeur. Un combattant de Tekken ne décolle comme, par exemple, ceux de Street Fighter. Toujours, le sol le rappelle à lui. Même bizarre, même fantaisiste (avec un masque de biche, un chapeau-voiture…), même s’il est une androïde aux cheveux roses qui, par moments, perd littéralement la tête, sa vérité est physique, charnelle.
Il y a les jeux de combats dont les personnages cherchent d’abord à repousser l’adversaire, à l’envoyer loin d’eux – c’est même parfois la manière la plus simple de remporter un combat, par exemple dans Soul Calibur. Il y a ceux où la défense prime et ceux où les projectiles, vrais ou surnaturels, tiennent une place importante. Ce n’est pas le cas dans Tekken où chaque pugiliste semble irrésistiblement attiré par l’autre. Le but premier est de combler la distance qui les sépare – rien de pire qu’un geste qui finit dans le vide, dans ce triste et inutile espace entre eux –, de rejoindre l’autre pour le palper, le serrer contre soi. L’horizon de Tekken, son issue inavouée, c’est l’étreinte. Ses héros improbables et joyeusement travestis, hommes et femmes-collages (des bouts de corps par ci, une perruque par là, un accent au choix…), créatures de carnaval cosmopolite, de love parade dépoitraillée dont la « personnalisation » est un but en soi, ne rêvent que de ça : se rapprocher, se toucher, se frotter.
On délire ? Probablement un peu, mais Tekken 7 est aussi fait pour ça : c’est du sport (de l’e-sport), mais aussi – et au moins autant – une machine à mettre les fantasmes en mouvement. C’est pour cette raison, plus que pour toute autre, que l’on recommandera de le pratiquer à deux. Lire les mouvements de l’autre pour les anticiper, se pénétrer de son rythme, de son tempo et le compléter par le sien jusqu’à avoir l’impression de ne plus faire qu’un. Et puis se détacher et prendre la pose pour mieux revenir ensuite se coller à l’autre. Il y a des combats à remporter, de nombreux objectifs et des trésors à gagner, mais c’est d’abord vers ça que tend l’expérience Tekken et ce somptueux épisode 7 qui n’a pas grand-chose à envier aux derniers Street Fighter s’en approche sans doute davantage qu’aucun autre avant lui. Ce qui peut arriver de pire ici, c’est que « la connexion avec l’adversaire » (c’est-à-dire le partenaire) soit « perdue ». Vivement qu’en plus du reste, il gagne un mode online digne de ce nom. Comme d’habitude, les Tale of Tales avaient raison.
Tekken 7 (Bandai Namco), sur PS4, Xbox One et PC, de 35 à 50€
Les problèmes du mode online, bien réels à la sortie du jeu et pendant la semaine qui a suivi, on été réglés depuis par un patch de son éditeur.
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