Auteur de son quatorzième album, “Le Monde réel”, et d’un premier livre de poésie, “Le Présent impossible”, l’infatigable chanteur majuscule fête à sa manière singulière le trentième anniversaire de “La Fossette”.
Considères-tu Le Monde réel comme ton treizième ou quatorzième album ?
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Quatorzième, car, très rapidement, j’ai accepté Vie étrange [un “carnet de bord musical” selon ses mots, entre hommage à Philippe Pascal et bouée de sauvetage des jours confinés, sorti en 2020] comme un album de ma discographie. Les gens m’en parlaient naturellement comme d’un album et il n’y avait que moi qui le considérais alors comme une chose annexe. J’aime bien ce disque, je n’aurais pas pu le concevoir à un autre moment, et il m’a surtout sauvé la mise psychologiquement parlant. Il m’a aussi permis de sortir de l’ornière dans laquelle j’étais en train de me perdre pour Le Monde réel. Artistiquement donc, le Covid m’a fait du bien… (sourire) C’est paradoxal, mais c’est vrai.
Tu as enregistré ce nouvel album à La Frette, un studio francilien chargé d’histoires.
Oui, c’était la volonté de Yann Arnaud, le réalisateur du disque, qui a l’habitude d’y travailler. La Frette est comme un petit château d’Hérouville, avec son toit bâché depuis dix ans et l’eau qui s’écoule à profusion dans les chambres à chaque orage. C’est un endroit très habité, voire hanté, que je craignais d’ailleurs car je suis un vrai froussard ! Fort heureusement, les esprits étaient bienveillants. Le studio possède une vieille console analogique de l’époque Barclay des années 1970.
À l’étage, il y a un salon de musique, avec une ouverture végétale et un côté désuet qui correspondaient bien à l’ambiance cotonneuse recherchée. C’était donc le lieu idéal avec, une fois n’est pas coutume, le temps devant soi. Vingt-cinq jours de prise, ça s’apparente à un enregistrement pharaonique de nos jours. Sur place, je me suis rendu compte que je faisais un disque de chansons, mais je ne le savais pas avant d’y aller comme j’avais le fantôme… pardon, le fantasme, hollisien [Mark Hollis, chanteur-compositeur de Talk Talk, disparu en 2019] en ligne de mire.
“Je suis un peu troublé par les premiers retours sur l’album, presque reçu comme un disque normal alors que je l’avais pensé comme anormal”
On croit d’ailleurs savoir que l’enregistrement de l’album devait suivre l’ordre des chansons.
C’est une idée qu’on n’a pas suivie, mais on a commencé par Dernier Appel de la forêt, le titre d’ouverture du disque. Les cinq musiciens choisis n’avaient jamais travaillé ensemble. La première heure en studio fut pour le moins compliquée, mais dès la seconde, l’affaire était dans le sac. J’aimais l’idée que le groupe s’installe au fil des minutes, j’avais envie d’une rythmique talk-talkienne, très jazz-pop.
L’intelligence du batteur Étienne Bonhomme et du contrebassiste Sébastien Boisseau, qui n’avait pourtant jamais enregistré de chansons, a fonctionné à merveille. Sans deviner ce que le groupe allait produire comme sons, je savais juste que je ne voulais pas jouer de guitare pour endosser pleinement le rôle de l’interprète. Sans réitérer certaines erreurs du passé, comme sur Tout sera comme avant [2004]
Pour l’écriture, il y avait toujours cette volonté d’être moins métaphorique et plus terre à terre ?
C’est un peu raté, non ? Le Manteau retourné de l’enfance, Le Monde réel, Au bord de la mer sous la pluie, Les Roches, Avec les autres ou Nouvelles du monde lointain sont des titres assez transparents, même s’il y a toujours certains éléments métaphoriques. Le titre lui-même de l’album interroge cette notion de réalité dans une période encombrée d’interprétations de la réalité diverses et variées. Au-delà des fausses informations, il y a cette idée de rapport à la réalité qui est à la fois très fluctuant et subjectif.
On retrouve justement ces flottements dans le sens à travers les textes, où il m’arrive de me laisser aller au plaisir des images sans chercher à être forcément compris. Je suis d’ailleurs un peu troublé par les premiers retours d’écoute de l’album, car il est presque reçu comme un disque normal alors que je l’avais pensé comme anormal. Encore une fois, c’est mon caractère appliqué qui ressort… (sourire)
Au final, est-ce l’album que tu imaginais et entendais à l’origine ?
Finalement, j’espérais faire mon Laughing Stock et j’ai fait mon The Colour of Spring – Dieu merci ! Disons que j’étais dans cette référence, mais pas dans la déférence. J’ai même failli sortir huit chansons seulement, comme sur l’antépénultième album de Talk Talk. Avec Yann, on voulait s’en inspirer, notamment en jouant sur la spatialisation et les silences dans les chansons.
Un disque comme Laughing Stock, c’est de la musique avant même d’être des chansons, alors que Le Monde réel contient avant tout des chansons. Je peux jouer chacune à la guitare. Peut-être aurions-nous pu aller plus loin dans la dilution. Il y a un côté classique chez moi qui reprend toujours le dessus.
“Une fois que tu as fêté tes 20 ans, toute décennie supplémentaire passe l’air de rien”
De quel autre album le rapprocherais-tu ?
L’Horizon [2006], même si nous n’avions pas suivi la même méthode d’enregistrement. Ce sont deux disques organiques avec un grand désir d’écriture musicale. Vers les lueurs [2012] aussi, puisqu’il était également arrangé par David Euverte, qui propose toujours des pistes inattendues. Ce sont trois albums joués, où l’idée du collectif est primordiale. Dans le temps passé comme dans la méthode employée, j’ai fini par faire mon disque seventies à la Pink Floyd !
Le Monde réel paraît donc, comme prévu, l’année du trentième anniversaire de La Fossette.
Cela aurait été moche de rater le coche, fût-ce in extremis ! En réfléchissant à ce qu’on allait faire pour les 30 ans de La Fossette, sortir un nouvel album m’a semblé la meilleure idée. De toute façon, une fois que tu as fêté tes 20 ans, toute décennie supplémentaire passe l’air de rien… Dans sa conception et par son côté circulaire (les accords de la fin d’Au bord de la mer sous la pluie sont les mêmes que l’ouverture de Dernier Appel de la forêt),
Le Monde réel est un disque en soi, qui s’inscrit dans une certaine continuité. Je ne suis pas habitué à attendre aussi longtemps une sortie, car on l’a achevé il y a déjà six mois. Je n’aime pas quand ça traîne, j’ai même imaginé qu’il paraisse en catimini et sans le moindre accompagnement. Cela dit, c’est plutôt un album automnal que printanier, même si je le trouve chamarré.
“Je suis le champion de France du pouce sur Nokia”
En bon stakhanoviste, tu as trouvé le temps parallèlement d’écrire ton premier livre de poésie, Le Présent impossible.
C’est la peur du vide, comme toujours… J’avais reçu une proposition de L’Iconopop il y a un an et demi, sans rebondir aussitôt dessus. Car si je lis beaucoup de poésie, je ne parvenais pas à en écrire. Entre-temps, j’ai relu Joséphine Bacon, une poétesse canadienne dont la forme très elliptique m’a inspiré. Après la fin des sessions d’enregistrement du disque, je me suis retrouvé à la campagne chez mes parents, et j’ai commencé à griffonner des poèmes, dont certains figurent d’ailleurs dans le bouquin.
J’ai adoré la liberté formelle et de ton. Avec la poésie, on peut parler de tout sans aucun tabou. La métrique n’est évidemment pas la même que pour une chanson, mais il y a une sorte de mélodie inconsciente. Je continue d’ailleurs à en écrire – tout dépendra de la façon dont le livre sera reçu. La poésie est en plein retour de flamme, car c’est un type d’écriture et de longueur de texte qui correspond bien à l’époque et au temps d’attention des gens par rapport à la frénésie des écrans.
Quel est d’ailleurs ton rapport aux écrans ?
Toujours le même : j’ai un ordinateur sur lequel je travaille et où je passe beaucoup trop de temps, mais je n’ai pas de smartphone et je ne suis pas joignable en permanence. Je communique surtout par SMS, je suis le champion de France du pouce sur Nokia !
Le Monde réel (Cinq7/Wagram). Sorti depuis le 16 septembre. En tournée française à partir du 11 novembre et le 26 janvier à Paris (L’Olympia). Livre Le Présent impossible (L’Iconopop), dessins Edmond Baudoin, 128 p., 14 €. En librairie depuis le 15 septembre.
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