La chorégraphe irlandaise imagine une humanité dansante par temps troublés. Secouant.
Un bataillon de danseur·euses avance telle une nuée de volatiles sur le plateau du Kampnagel de Hambourg en ce mois d’août torride. Avec leur “bleu” de travail sur le dos, ils et elles ont des allures de travailleur·euses du peuple. Oona Doherty s’est peut-être souvenue de ses jeunes années, rêvant du ballet, de ses codes, de sa hiérarchie. Mais tout ceci a volé en éclats, et l’Irlandaise a pris d’autres chemins.
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Navy Blue est, qui sait, un adieu à sa jeunesse. Ou la pièce de la grande dépression, celle des confinements et des crises à répétition de ce XXIe siècle. Les solistes s’épuisent en des sauts et des trajectoires, finissent aligné·es comme condamné·es d’avance. Navy Blue est tout autant une pièce de résistance, le salut par l’attention portée aux autres. Le salut par la danse. Pourquoi pas ? Le concerto pour piano N°2 de Sergueï Rachmaninoff en bande-son fera l’affaire. Puis vient le temps de la plainte. Sur les nappes électroniques sombres de Jamie XX, un long texte écrit (et lu) par Doherty en collaboration avec Bush Moukarzel fait le lien entre ce passé et ce présent, ce “microcosme de tous ceux que tu aimes” et ces dictateurs, ces points bleus et d’autres.
“The only thing left is to mutate”
Alors le mouvement se métamorphose, l’onde parcourt le haut du corps, les danseur·euses dans un lâcher-prise retrouvent cette urgence du partage. On est loin des effets de style vains de Lady Magma, donné cet été à Avignon. Navy Blue voit plus loin. Même si l’horizon paraît incertain. Lorsqu’un·e à un·e les interprètes sont fauché·es d’une balle fictive, leur sang bleuit la scène jusqu’à la transformer en mer. Ce bleu est celui d’une tristesse revendiquée par Oona Doherty. Sa chorégraphie est faite de ressac, de gestes déportés sur la rive du théâtre, de ressentiment et, quand même, d’espoir. La créatrice rappelle la crise existentielle de Rachmaninoff, ce qu’il doit à son analyste Nikolai Dahl. “Les danseurs ont été ce Dahl pour mon Rachmaninoff”, conclut-elle.
Il manque néanmoins une déflagration chorégraphique à ce Navy Blue, du genre de celle entr’aperçue dans A Belfast Player et son “army of sugars”, jeunes interprètes venues des banlieues. Mais cet aveu de faiblesse d’une artiste en pleine hype est autre, sincère. Sans rage, elle égrène le budget – inventé ? – de la production, arrivant à la somme de 291 656 euros. Tout y passe. Et enchaîne : “I see myself falling into insignifiance”. Qu’on se rassure, l’auto-apitoiement n’est pas dans sa nature. Danser, danser encore. Ne pas sombrer. Ce Navy Blue est du genre insubmersible.
Du 22 septembre au 1 octobre, Théâtre de Chaillot à Paris – puis en tournée les 18 et 19 novembre au Pavillon Noir à Aix en Provence, les 22 et 23 novembre au MC2 Grenoble, et le 26 novembre au Volcan au Havre
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