Dix albums pour retrouver les valeurs sûres et découvrir les jeunes pousses du jazz français, toujours plus divers et ouvert.
David Enhco, Horizons
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Les dieux l’ont favorisé – sa famille compte plusieurs grands musiciens – et parce qu’on l’a entendu recréer crânement, avec l’Amazing Keystone Band, Le Carnaval des animaux et Pierre et le Loup, il serait tentant de considérer David Enhco comme un jazzman simplement doué, sans profondeur. Une erreur que Horizons balaie vite avec ses ostinatos ténébreux, ses traits douloureux, ses feux qui couvent partout, ses nervures trop pleines et ses éclats inattendus. En quartet, le trompettiste s’aventure vers des nuances d’une rare complexité, des teintes crépusculaires aux résonances troublantes et qui hantent longtemps. Un grand disque impétueux, à paraître le 28 avril.
Hadouk, Le Cinquième fruit
Le nom de ce trio devenu quartet a toujours baigné dans les volutes d’une démence douce – héritée d’années plus favorables à l’imagination –, un parfum de fantaisie et de curiosité pour toutes les formes de musique et d’instruments (duduk, hajouj, ribab, gumbass…). Mais au sein de Hadouk, Didier Malherbe et ses amis savent aussi cadrer ces fantasmagories à cinq temps, conférer à leurs sanglots conjoints la noblesse des traditions d’Asie mineure ou prêter à leurs divagations modales des sensualités d’Extrême-Orient. Hors de toute frontière, Le Cinquième Fruit s’offre ainsi comme un petit jardin fantastique, un refuge à la rêverie.
Tony Paeleman, Camera Obscura
Accompagnateur précis et précieux de la plupart des grandes figures du jazz français actuel, dont quelques-unes sont convoquées ici (Christophe Panzani, Karl Jannuska, Emile Parisien, Pierre Perchaud…), Tony Paeleman possède aussi une belle imagination créative, en particulier lorsqu’il s’agit d’appréhender un groove de mille manières. En quartet, le pianiste déroule une musique aux tumultes contenus, avançant par vagues rythmées qui paraissent se réinventer à mesure qu’elles se dressent puis retombent dans l’abîme. Si l’on excepte une reprise un peu vaine du Roxanne de Police, ce second album délivre ainsi une succession d’émotions variées, toute une poétique intérieure.
Roberto Negro, Garibaldi Plop
C’est un disque fou, violent, plein de continuums – on songe forcément à celui de Ligeti – télégraphiques, de dissonances en spirales et de brisures percussives, un disque qui évacue toute idée de joli confortable ou apaisant. Pourtant, on s’y attache, du fait de son audace provocante, de son intransigeance absolue, de son refus tout net de la moindre concession. Œuvre de poète, album anarchiste, où le pianiste Roberto Negro se souvient de son ascendance italienne et, accompagné par Valentin Ceccaldi au violoncelle et Sylvain Darrifourcq à la batterie, nous entraîne dans une lutte de nerfs et d’enragements, de bile noire et d’exsudations dont on sort curieusement régénéré.
Toufic Farroukh, Villes invisibles
Une ville moderne, surtout si elle est invisible, enfant d’affabulation, ne peut être peuplée que de souvenirs d’autres villes, d’autres déambulations, lumières et rencontres, gorgée d’atmosphères cosmopolites. C’est ainsi qu’avec sa formation en octet, le saxophoniste Toufic Farroukh a bâti ses propres architectures en laissant remonter des sensations sonores de Buenos Aires, de Rio, du Caire, de New York peut-être, et puis des mots, ceux d’Italo Calvino, et de la musique, un air roumain, une réminiscence de Georges Delerue. L’ensemble se visite les yeux grands ouverts, en quêtant l’émerveillement à chaque détour, souvent pour le trouver où on ne l’attendait pas.
Tarkovsky Quartet, Nuit Blanche
Il faut savoir soutenir un nom, on n’emprunte pas celui de Tarkovsky sans l’obligation d’engager sa musique, sinon à un questionnement spirituel, à une nostalgie métaphysique, du moins à une poésie naturelle, à une lenteur des corps, à une liquidité mystique des sons. Le pianiste François Couturier a relevé ce défi. Avec Anja Lechner au violoncelle, Jean-Marc Larché au soprano et Jean-Louis Matinier à l’accordéon, il peint une Nuit Blanche ni réelle ni tout à fait irréelle, aux scintillements réflexifs et aux hallucinations étirées, opaques et fascinantes comme une mémoire des miroirs. Sortie le 7 avril.
Stephan Oliva, Susanne Abbuehl & Øyvind Hegg-Lunde, Princess
Il est des albums qui apportent comme un surcroît de clarté, ils ôtent de la matière au lieu d’en ajouter et procèdent à une aération salutaire de nos esprits trop encombrés. Ainsi apparaît Princess, pour l’essentiel composé d’interprétations de Jimmy Giuffre. La voix de Susanne Abbuehl, tendre et souriante jusque dans ses murmures, s’y détache sur les ombres projetées par le piano de Stephan Oliva et les lumières du percussionniste Øyvind Hegg-Lunde pour nous rendre tout aimable, même What A Wonderful World, ce thème si souvent massacré, qu’elle restitue dans son miracle originel. Sortie le 31 mars.
Offshore Quartet, Shorewards
Parce que le jazz fusionne ici avec des grooves rock et se nourrit des ambivalences modales de l’Inde, que de longs élargissements de l’espace s’accompagnent d’ivresses à jouer vite, on pense d’abord aux voies naguère empruntées par John McLaughlin. Mais un élément important s’ajoute à la musique d’Offshore, son lyrisme celte, qui produit de très beaux mouvements de flûte et de cornemuse irlandaise. On sait ce que peut avoir de superficiel ce type musique globalisante, mais dans Shorewards, le guitariste Jacques Pellen et ses compères Karim Ziad, Etienne Callac et Sylvain Barou ont su s’inspirer en profondeur et avec justesse de ces ailleurs qu’ils ont sans doute fréquentés avec assiduité. Sortie le 17 avril.
Ensemble Art Sonic, Le Bal perdu
Certains répertoires sont dangereux, on n’aborde pas les javas et javanaises de Boris Vian, Jo Privat, Gainsbourg et Bourvil sans prendre le risque de tomber dans une guinguette aux frites trop grasses, à l’accordéon rouillé et aux relents malsains de tabac brun et de mauvaise bière. Mais que l’Ensemble Art Sonic s’en empare et c’est tout l’inverse qui se produit : gracieux, légers, nostalgiques et populaires comme une animation de Paul Grimault, intelligents et brillamment orchestrés (aux flûtes et à la clarinette de Joce Mienniel et Sylvain Rifflet se mêlent basson, cor, hautbois et accordéon), ces airs retrouvent dans Le Bal perdu un charme neuf, à faire tourner les têtes.
Un Poco loco, Feelin’ Pretty
Loco, sans doute faut-il l’être plus qu’un poco pour s’attaquer ainsi, armé de ses seuls trombone, clarinette, sax ténor et contrebasse à un tel monument musical. De ce trio sans queue ni tête, pas question toutefois d’attendre une iconoclastie conventionnelle en substitution d’une lecture pas à pas, note à note de West Side Story. Les thèmes de Leonard Bernstein, parfois à peine ébauchés, ne sont ici que fils conducteurs d’une invention ébouriffante, farceuse, qui tire la langue au chef-d’œuvre et joue à saute-mouton avec lui pour mieux lui rendre sa nécessité. A paraître le 23 avril.
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