Du toujours vert Ahmad Jamal (87 printemps) aux jeunes pousses londoniennes Binker & Moses, découvrez la floraison débordante de sève du jazz d’aujourd’hui.
Ahmad Jamal, Marseille
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Il reste peu de monuments comparables à Ahmad Jamal, pianiste entré dans l’histoire pour avoir redéfini, il y a plus d’un demi-siècle, le jeu en trio. L’influence de sa percussion aérienne, de ses arpèges flamboyants et de son cool imperturbable a traversé les décennies, affectant notamment Miles Davis et le hip-hop des années 90. Qu’il revisite un classique du gospel (Motherless Child), redonne un peu d’air à un standard usé (Autumn Leaves) ou parvienne – et ce n’était pas gagné – à nous rendre supportable Abd al Malik, il démontre dans Marseille que, à bientôt 87 ans, on peut encore compter sur sa vigueur et sa sagesse heureuse. A célébrer les 12 et 13 juin, à l’Opéra de Marseille, puis le 30 juin, dans le cadre de Jazz à Vienne.
Jamie Saft, Loneliness Road
L’idée de cet album est si insolite qu’elle en devient merveilleuse. Aux dernières nouvelles, Jamie Saft, irréductible expérimentateur que l’on a vu toucher au blues, à la pop ou au métal, œuvrait dans le dub (avec New Zion Trio), à quelques années-lumière d’Iggy Pop en pleine cure de “post pop depression”. Les voici pourtant réunis, le temps de trois titres, dans un contexte résolument jazz, accompagnés par Steve Swallow et Bobby Previte – excusez du peu ! A l’évidence, Iggy a pris du plaisir à crooner sans assurance, en assumant les faiblesses chevrotantes de sa voix. Quant aux plages instrumentales, elles sont d’une beauté sereine, de celle qui peut surgir d’un échange de confidences souriantes, entre vieux amis.
https://www.youtube.com/watch?v=TY0huZRQbuU
L’Orchestre de la Lune, Dancing Bob
Avec un nom de groupe pareil, on s’attend à de doux toqués, des lunatiques, des libertins rêveurs à la Cyrano. Dès Dancing Bob, sorte de reggae dégingandé roucoulé par un Brad Scott égal à lui-même – donc en roue libre – et agrémenté de solos pimentés à souhait, on ne doute plus du solide sens de la fiesta cultivé par Jon Handelsman (ténor américain implanté depuis bientôt 40 ans à Paris) et sa compagnie de dix musiciens. De sambas givrées en funks classieux, de fanfares rastaquouères en dubs indolents, l’Orchestre de la Lune déploie une large palette stylistique en toute décontraction, alliant spontanéité et savoir-faire. A retrouver le 15 juin au Studio de l’Ermitage.
Binker & Moses, Journey to the Mountain of Forever
Une pochette digne d’un album de Yes ou d’une BD de Vicente Segrelles, un titre échappé d’un Mahavishnu ou d’un Pharoah Sanders, un format double pour en rajouter encore dans la démesure, et puis, derrière tous ces paravents… deux gosses à l’allure voyou, que l’on imaginerait plus experts en petites combines qu’en musique. Quand Moses fouette sa batterie sans relâche, Binker fait rougeoyer son saxophone comme un souffleur son verre. L’alchimie prend, l’assaut crâne de l’instinct et de la juvénilité renvoyant au néant les calculs les plus savants. Dans le second disque, les deux lascars londoniens sont rejoints par quelques invités mais l’intensité, elle, ne retombe pas d’un pouce.
Reis, Demuth & Wiltgen, Places in Between
Quand Joshua Redman ne tarit pas d’éloges sur un groupe, forcément, on tend l’oreille. De Reis, Demuth, Wiltgen, le saxophoniste américain a salué à juste titre l’étonnante habileté à élaborer des histoires : le trio luxembourgeois entreprend chaque morceau comme une narration, un conte de ces émotions rares qui, par éclairs, viennent trouer le quotidien pour ravir l’être intime tapi derrière le personnage social. Narrative, cette musique laisse cependant toute sa place à l’abstraction, la féerie des mélodies développées par le pianiste Michel Reis suffisant largement à susciter l’émerveillement. En concert le 24 juin, au Duc des Lombards.
Bruno Schorp, Into the World
Contrebassiste employé par les solistes les plus talentueux (Eric Séva, Jean-Pierre Como, Fred Soul…), Bruno Schorp est aussi un compositeur privilégiant la méditation et la profondeur, la clarté de la ligne et l’opacité du silence, quand celui-ci exige d’être entendu. Aussi n’est-il pas étonnant de retrouver à ses côtés un saxophoniste aussi précieux que Christophe Panzani, et des invités comme Nelson Veras et Tony Paeleman. Ils participent pleinement à la réussite de cet album, à ses énigmes intimes, ses projections vers des hauteurs de sentiment et ses généreuses respirations. En concert le 16 juin au Sunset, pour fêter la sortie de l’album.
https://www.youtube.com/watch?v=5NmeOm4u4Aw
Jef Neve, Spirit Control
On avait quitté Jef Neve en solo, plongé dans un tourbillon d’émotions d’une rare puissance. On le retrouve très accompagné – cordes, trompette, contrebasse, percussions… –, à l’assaut d’un répertoire où alternent langueurs classiques – Crystal Lights et sa belle introduction aux cordes rappelant Villa-Lobos –, cascades d’harmonies dévalant comme d’évidence et grandes embrassées lyriques. Le pianiste belge demeure d’un bout à l’autre d’un goût irréprochable, impeccablement romantique au sens noble du terme, et tout autant jazzman. C’est assez rare pour qu’on salue une nouvelle fois son geste artistique.
Xavier Roumagnac Eklectik Band, Sirènes
L’adhésion à ce disque du batteur Xavier Roumagnac pourrait ne pas être immédiate : thèmes parfois faciles, solos tapageurs et rythmes binaires effaroucheront sans doute les oreilles réfractaires au jazz-rock. Les autres apprécieront les finesses de l’orchestration et le soin porté à l’élaboration d’atmosphères contrastées chargées en sensualités outrancières et tensions électriques, effets rétro et décontraction optimiste. Un plaisir coupable ? A vérifier le 15 juin, sur la scène du Baiser Salé.
Henri Texier, Concert anniversaire Label Bleu
Il fallait bien un All Stars pour célébrer les 30 ans de Label Bleu, maison amiénoise qui a beaucoup fait pour le jazz hexagonal en permettant à des artistes majeurs (Sclavis, Galliano, Ducret, Humair…) d’enregistrer des disques libres et audacieux. Le rôle de maître de cérémonie est naturellement allé à Henri Texier, fidèle au label depuis 1989, qui s’est entouré pour l’occasion de Michel Portal, Thomas de Pourquery, Bojan Z., Edward Perraud et Manu Codjia. L’émulation est palpable, annihilant les différences d’âge et de tempérament dans une énergie festive, comme un feu d’artifice chatoyant.
Joshua Abrams & Natural Information Society, Simultonality
Fondée sur la répétition de motifs paraissant identiques (en réalité soumis à d’infimes décalages qui produisent d’étranges claudications), la musique de Simultonality ressemble à une toupie aux rotations imprévisibles. Le temps peut s’y appréhender soit en vitesse folle soit en arrêt, les deux impressions étant également trompeuses et recevables. Par ses perpétuels bégaiements et ses changements d’axe soudains, le guembri de Joshua Abrams constitue la clé de voûte de l’expérience, pièce maîtresse d’une hypnose jubilatoire aux subtilités bourdonnantes et aux enthousiasmes inédits.
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