Où Kurt Wagner, poursuivant sa route expérimentale, atteint de nouveaux sommets. Un vertigineux labyrinthe.
Toujours se demander où on a laissé Lambchop. On se souvient qu’après la mue autotunée de Flotus (2016), la tête pensante Kurt Wagner en avait affiné la formule sur le sensuel This (2019). Récemment, le très évanescent Showtunes (2021) envoyait valser les atomes de sa musique dans la matière noire d’un nuage qui aurait pu marquer un point de non-retour. Mais voilà qu’à nouveau Kurt se sert du chantier mis en branle pour ériger des bases neuves. À ce titre, The Bible est son disque le plus complet depuis des lustres.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Car s’il se réinvente de fond en comble, tirant le meilleur parti d’une formation entièrement renouvelée, le son de Lambchop convoque ici toutes ses facettes, s’en fabriquant d’inédites au passage. Des facettes multiples donc, et même la boule qui va avec, le temps d’un Little Black Boxes qui ne déparerait pas au sein d’un mix house : qui aurait cru un jour danser ainsi sur du Lambchop ? Et ce morceau extraordinaire n’est pas la seule surprise de ce nouveau tableau.
Quand le Sphinx se fait Minotaure
S’y déploient des basses serpentines qui donnent leur tracé sinueux à ces cinquante minutes de splendeur (ouvertes par les cordes mélodramatiques de His Song Is Sung), et le piano nyctalope d’Andrew Broder (cosignant l’ensemble avec Wagner et Ryan Olson), digne successeur de Tony Crow. Si les incursions électroniques s’installent, The Bible partage avec le Blackstar (2016) de Bowie un tropisme jazz plus prononcé que par le passé.
Sur Whatever, Mortal, l’oscillation entre film noir vintage et méditation postapocalyptique pourrait faire écho aux enquêtes labyrinthiques du même Bowie sur 1.Outside (1995) – le Sphinx Wagner se fait Minotaure. L’oppression claustrophobe se voit résolue par ces chœurs qui s’envolent au-dessus du dédale, et plus loin font craquer le tissu anxiogène de Police Dog Blues, audacieux single angoissant.
L’écriture de Wagner ne craint ni l’énigme ni le littéral
Sur son canevas qui se joue des codes, l’écriture de Wagner ne cesse de s’élever en volutes comme un Pessoa de Nashville qui ne craint ni l’énigme (A Major Minor Drag) ni le littéral (That’s Music). L’étoffe de la production permet de dévoiler à chaque écoute un nouvel angle, une autre façon de diffracter la lumière soul qui nimbe la noirceur folk gothique, les luminescences ambient qui moirent la country orchestrale.
À sa secrète façon, Lambchop prend la suite des prophètes joueurs dont Dylan reste la figure ironiquement tutélaire. Et c’est avec l’impénétrable sourire en coin d’une Mona Lisa que l’on prendra cette Bible pour parole d’évangile.
The Bible (City Slang/PIAS). Sorti depuis le 30 septembre.
{"type":"Banniere-Basse"}