Pratiqué par des millions de joueurs, Clash Royale rapporte des fortunes à Supercell, son éditeur. Un jeu mobile vanté à coups de spots de pub agressifs et conçu pour amener ses adeptes à dépenser toujours plus.
Un milliard de dollars. C’est la somme que Clash Royale a rapportée en 2016 à l’éditeur finlandais Supercell. Malgré un catalogue de quatre titres seulement, ce dernier (qui appartient depuis juin 2016 au groupe chinois Tencent) règne sur le secteur lucratif du “petit” jeu mobile qui fait passer le temps entre deux bus ou dans le métro avec, l’an dernier, un chiffre d’affaires total de plus de deux milliards de dollars. A titre de comparaison, celui du géant français Ubisoft, malgré une progression significative et un catalogue infiniment plus riche (avec The Division, For Honor ou Ghost Recon Wildlands pour l’année écoulée), n’a atteint “que” 1,46 milliard d’euros lors de l’exercice 2016-2017.
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Un peu plus d’un an après sa sortie, Clash Royale – dont les pubs totalisent 37 millions de vues sur YouTube – ne décroche d’ailleurs pas des premières places du classement des applications les plus “rentables” de l’App Store d’Apple, où son principal rival a pour nom Clash of Clans, un autre titre de Supercell. Hourra, donc, pour le petit qui n’a pas peur des gros.
Sauf que pas vraiment, car Clash Royale est le chef de file d’une tendance qui fait beaucoup de mal au jeu vidéo et, accessoirement, au portefeuille de ceux qui se sont laissé tenter par sa relecture maline du genre “tower defense” qui, avant lui, avait notamment fait le succès de Plants vs Zombies.
Accélérer le temps grâce aux “gemmes”
Ici, deux joueurs s’affrontent via internet, selon des principes rappelant ceux des MOBA (arènes de bataille en ligne multijoueur) comme League of Legends. Chacun possède trois tours disposées en haut ou en bas de l’écran qu’il va devoir protéger tout en cherchant à détruire celles de son adversaire.
Pour ce faire, il choisit dans son “deck” de cartes virtuelles celles qui semblent le mieux adaptées à la situation (un chevalier, un géant, des gobelins, une boule de feu que l’on catapultera en direction du château ennemi…), tout cela se faisant en temps limité. Mais faire l’expérience de Clash Royale, ce n’est pas seulement élaborer ses tactiques, préparer ses cartes et s’élancer sur le champ de bataille. C’est aussi, et surtout, attendre.
Parfois, c’est pas moins de huit heures qu’il faut patienter
Attendre, d’abord, que ce coffre que l’on vient d’obtenir et qui contient de quoi faire gagner en puissance les figures représentées sur nos “cartes” (et, donc, accroître nos chances de succès dans les duels en ligne) daigne s’ouvrir. Parfois, c’est pas moins de huit heures qu’il faut patienter. Dur…
Heureusement, il y a une solution : on peut accélérer le temps en payant avec les “gemmes” vertes remportées dans le jeu. Mais, assez vite, ces dernières ne suffisent plus. Heureusement (bis), on peut en acheter, cette fois avec de l’argent véritable. Pour obtenir un tarif intéressant, le mieux est de ne pas mégoter sur le volume et d’opter pour le commerce de gros. A 109,99 € les 14 000 gemmes, pourquoi se priver ?
Un modèle du jeu gratuit avec achats intégrés
Bien sûr, Clash Royale n’est ni le premier, ni nécessairement le pire des jeux mobiles free to play qui cherchent à vous dépouiller. Sur ce plan, il suit en particulier l’exemple de Candy Crush, le précédent phénomène du genre qui garde de nombreux adeptes mais qu’il a en partie détrôné. Un titre comme Pokémon Go fonctionne également sur ce modèle du jeu gratuit avec achats intégrés. Mais Clash Royale est sans aucun doute l’un de ceux qui ont bâti le système le plus efficace en la matière.
Un système qui ne repose pas sur le plaisir ou la curiosité (l’envie d’en voir, d’en vivre plus) mais sur la frustration. Lors des affrontements en ligne, on se heurte en effet vite aux limites du jeu : quelles que soient notre vivacité d’esprit et notre volonté, on n’a à peu près aucune chance de s’en sortir face à un adversaire dont la collection de cartes est plus forte que la nôtre, même s’il ne joue pas particulièrement bien.
Alors il faut ouvrir des coffres, acheter des cartes et faire progresser nos personnages – ce qui, là encore, coûte de l’argent, virtuel ou non. Et comme il y a toujours plus fort que nous, comme il y a toujours des cartes et des coffres qui nous attendent (ou, plutôt, que l’on attend de pouvoir déverrouiller), c’est (quasiment) sans fin.
Des machines à fabriquer du manque
On rapproche trop souvent les jeux vidéo de la drogue alors que l’hypothèse d’une véritable dépendance vidéoludique semble relativement fantaisiste – les spécialistes parlent plus couramment de “pratiques excessives”. Dans le cas de Clash Royale, la comparaison n’est pourtant pas inutile. En matière de drogues, l’idée générale est que l’on commence à en prendre pour se sentir bien et que l’on continue pour ne pas se sentir (trop) mal.
Un jeu vampire qui pompe la vie et qui rend triste
C’est un peu la même chose avec le titre de Supercell, machine à fabriquer du manque dont, passé le moment de la découverte et à moins peut-être d’y jouer très longtemps et de rejoindre l’un des “clans” les plus puissants, on ne peut attendre, au mieux, qu’un soulagement très provisoire avant qu’au combat suivant, ou dans ses menus-rayonnages de magasin, le jeu ne nous colle à nouveau le nez sur ce que l’on ne possède pas et qui est toujours la même chose : des cartes à l’effigie de personnages assez costauds pour éviter une nouvelle défaite énervante, frustrante, déprimante.
Il y a les jeux qui réchauffent et ceux qui stimulent, ceux qui désorientent, ceux qui élèvent, amusent ou émeuvent. Clash Royale, lui, est un jeu qui fait se sentir vide et n’en veut pas qu’à notre argent mais, aussi, à notre joie. Un jeu vampire qui pompe la vie et qui rend triste. A chaque nouvelle partie, quelque chose meurt dans notre cœur de joueur.
Clash Royale (Supercell), sur iOS et Android, free to play (achats intégrés)
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