Phobie des araignées, addiction à l’alcool, mal de mer… De plus en plus de patients ont recours aux thérapies en réalité virtuelle, pour se soigner. Un succès indéniable, mais taché par un gros manque d’informations sur les risques. Elles pourraient transformer notre cerveau sur le long terme, sans même qu’on le sache.
Arrêter de fumer, grâce à la réalité virtuelle ? L’idée paraît folle, mais c’est déjà tout à fait possible. Vous l’ignorez peut-être, mais il existe des thérapies en réalité virtuelle. Pour vaincre son addiction à l’alcool, sa phobie des araignées, du vide ou du mal de mer. Votre bras est fracturé ? On peut même vous atténuer la douleur, voire la supprimer… Même l’armée américaine mise beaucoup dessus, en proposant ces sessions particulières aux soldats qui souffrent de traumatismes. Vous mettez simplement un visiocasque devant les yeux, vous êtes alors immergé dans un univers parallèle, et n’avez qu’à suivre les conseils du thérapeute à côté. Vous pouvez être complètement guéri en une dizaine de séances seulement. Plus rapide et tout autant efficace qu’une consultation « normale ».
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Très peu connues, ces thérapies sont pourtant proposées depuis les années 1990, où elles étaient alors réalisées avec d’autres technologies moins à la pointe. Elles connaissent aujourd’hui un nouvel essor, grâce à la démocratisation des casques de réalité virtuelle (VR) à moindre coûts. « Maintenant, tous les centres hospitaliers peuvent s’équiper de casques », certifie ainsi Philippe Fuchs, professeur à l’école des Mines ParisTech et spécialiste de la réalité virtuelle. Désormais, plus de 200 praticiens utilisent cette technique en France. Certains se sont même spécialisés dedans, tant les thérapies sont demandées. Les associations comptent désormais des centaines de membres, qui représentent des organismes et des laboratoires de recherche. « La santé a une place très importante dans notre association, c’est en pleine croissance », indique Matthieu Lépine, le président de l’Association Française de Réalité Virtuelle (AFRV).
(©Flickr Maurizio Pesce)
Pour la réalité virtuelle, la santé est l’un des nouveaux gros marchés à conquérir, après celui de l’automobile, de l’aéronautique et des jeux vidéo. Les professionnels du secteur des neurosciences y portent un intérêt tout particulier, tant la réalité virtuelle, qui modifie la perception de la réalité, peut jouer un rôle sur notre psychologie et ainsi aider les patients. Toute une ribambelle d’applications et de pubs prolifèrent sur internet, prônant les bienfaits de la VR. « La VR pour soigner la santé mentale », « La VR pour lutter contre le mal de mer »… Comme s’il s’agissait du nouveau remède miracle à tous nos maux. L’intérêt est tellement grandissant que s’ouvrira à la rentrée prochaine à Brest, le premier Master de Psychologie cognitive utilisant la réalité virtuelle en France.
La folie des thérapies en VR
Tout cet emballement n’est pas anodin : imaginez bien, avec le casque, vous incarnez votre propre avatar et vous devez vaincre vos peurs. Vous vous retrouvez par exemple devant des araignées ou face au vide, selon votre phobie. Plus vous réussissez, plus vous avancez et plus les univers sont difficiles : au lieu d’une seule araignée, il y en a maintenant toute une colonie. Des « niveaux » de difficultés, comme dans un jeu-vidéo. Dit comme ça, cela paraît un peu plus attrayant que les séances banales, où le patient est allongé sur le canapé ou face au thérapeute. « Mes patients ne viennent que pour la réalité virtuelle. Je suis débordé de rendez-vous jusqu’à décembre ! », certifie Eric Malbos, psychiatre spécialiste des thérapies par exposition à la réalité virtuelle, au CHU Conception de Marseille.
Le psychiatre Eric Malbos pendant une thérapie en VR. (© Eric Malbos)
L’agitation dans son bureau se sent même à l’autre bout du fil, où on l’entend donner des indications à ses collègues pour déchiffrer « les paramètres sur l’objet 3D ». S’il est chargé de rendez-vous, c’est qu’il a été l’un des premiers à proposer des thérapies en VR. « J’ai grandi avec les jeux-vidéos, j’ai toujours aimé l’imaginaire de la science-fiction donc j’ai voulu combiner ça avec la médecine », précise celui qui se considère toujours « comme un gamer ».
Depuis 2012, il a reçu entre 800 et 900 patients, uniquement pour la VR. « J’ai une quarantaine de patients par jour, je ne fais plus que ça comme thérapie », se félicite-t-il. S’il est l’un des pionniers, il n’est pas le seul à être surbooké. « On reçoit énormément de demandes par téléphone pour des thérapies en VR, on a même dû en refuser. Nos patients ne sont pas du tout réfractaires à utiliser l’immersion, bien au contraire », indique Daniel Mestre, responsable scientifique du Centre de Réalité Virtuelle de la Méditerranée (CRVM) et directeur de recherche au CNRS.
« La réussite de la VR n’est plus à prouver ! »
Ces thérapies semblent réussir à tous les niveaux. Le gain de temps est incroyable : plus besoin d’aller loin, ni même de se déplacer pour mettre les patients en situation. « Ce matin, avec un patient, on a fait Marseille-Los Angeles en avion en seulement 30 minutes ! », se réjouit le psychiatre Eric Malbos. Plus besoin de matériel non plus, tout est créé numériquement. Pour les hôpitaux et les cabinets privés, c’est un investissement à moindre coût. Pour les patients, le prix est quasi identique : ils sont remboursés par la sécurité sociale, ou payent le même prix qu’une séance normale (80€ pour la VR dans un cabinet à Paris, contre 85€ la consultation basique).
Dans cette scène, le patient doit résister au tabac. (© Eric Malbos)
Les résultats des thérapies en VR sont tout autant prometteurs : on sait qu’avec la VR, on peut arrêter la douleur et atténuer les phobies. « 80% de mes patients ont retrouvé leur autonomie, nous n’avons aucun doute sur son efficacité », affirme le pionnier Eric Malbos. Les thérapies en VR sont même « complémentaires et tout autant efficaces que les traditionnelles », renchérit le professeur Philippe Fuchs, même si ce ne sont pas non plus « des baguettes magiques, certains ne guérissent pas totalement. »
« On ne peut pas affirmer que la VR n’est pas néfaste »
La réputation des thérapies en VR n’est plus à prouver… ou presque. Derrière ces discours constants qui servent à légitimer l’utilisation de la VR dans la santé, se cache un gros manque d’informations sur les risques potentiels. En essayant de se soigner, se ferait-on plus de mal que de bien ? En effet, les thérapies en VR stimulent des régions spécifiques du cerveau, suivant nos peurs et nos émotions, et l’activité cérébrale évolue en augmentant ou diminuant. Avec la VR, notre cerveau pourrait-il être impacté dans les années à venir ? « C’est vrai, on peut se poser cette question, on se la pose nous-mêmes », indique le psychiatre Eric Malbos.
Pour quel résultat ? Aucun… Les effets à long terme demeurent peu étudiés. Il n’y a aucune enquête viable abordant ces risques sur une longue durée, que ce soit sur le cerveau, les yeux ou d’autres parties du corps.
« Actuellement, on ne peut pas affirmer que la VR n’est pas néfaste sur la santé », avoue Philippe Fuchs.
En 2013, le professeur Mayank Mehta de l’université UCLA en Californie, a fait une étude sur des rats, placés tout à tour dans un environnement réel ou virtuel. L’analyse de leur cerveau a montré que 60% des neurones de l’hippocampe, la partie du cerveau notamment responsable de la mémoire, devenaient inactifs quand le rat était dans l’univers virtuel. Si l’étude n’est pas forcément transposable à l’Homme, elle met quand même le doute. « Notre cerveau subit des stimulations, c’est normal. Cette étude ne veut pas dire que la VR est mauvaise pour le cerveau, c’est à prendre avec des précautions ! » met en garde Philippe Fuchs.
Certains ont donc fait des études à leur échelle, mais les avis des professionnels divergent : si pour Eric Malbos « il n’y a aucun effet dommageable sur le cerveau, on stimule les mêmes zones qu’on soit dans la réalité ou non », pour Daniel Mestre, « la démonstration reste à faire. Si on arrive à supprimer la douleur, cela signifie qu’on modifie le cerveau. Est-ce que cela peut avoir un effet sur le long terme ? On l’ignore… »
Pour faire toutes les études nécessaires et certifier qu’il n’y a aucun risque, il faudrait des centaines de patients. Seulement, la plupart des essais cliniques ont été effectués sur des échantillons de participants plutôt limités. « On essaye de faire des essais nationaux, mais on a beaucoup de mal, c’est très encadré par les autorités sanitaires et à notre niveau c’est difficile de recruter des centaines de patients », certifie Daniel Mestre, du Centre de la Réalité Virtuelle de la Méditerranée.
(©Flickr Olabi Makerspace/Paulo Oliveira)
Car en plus de rassembler les patients, les centres et les laboratoires de recherche ont besoin de financements. « Une étude coûte une fortune. Il faut des budgets pour et surtout de l’argent public… », avance Matthieu Lépine, le président de l’association AFRV.
« Il y a un manque de préoccupation »
Les financements n’ont jusqu’alors jamais été dégagés spécialement pour ces études. « Ni le gouvernement, ni les autorités de santé ne nous ont demandé des études, je n’ai eu aucune requête en ce sens. Alors qu’on pourrait être moteur… », indique Matthieu Lépine. Pour lui, cette question « n’est pas suffisamment visible pour faire émerger ce genre de préoccupation… », déplore-t-il.
Les thérapies en VR n’ont jamais été sur le devant de la scène, ni n’ont fait l’objet de questionnements politiques. « La VR se développe, mais elle reste une niche, elle n’est pas utilisée par des milliers de professionnels de la santé. En France, on reste encore trop prudents pour l’explorer totalement et financer les essais », explique Daniel Mestre.
Les premiers effets secondaires de la VR sont pourtant déjà bien connus : le corps humain ne réagit pas toujours bien aux casques. Possibilité de « cybersickness », avec maux de tête, nausées, étourdissement, perte d’équilibre… Mais surtout, les effets sur la vue pourraient être irréversibles : « Les casques ont un impact direct sur les yeux. Il peut y avoir des risques de strabismes, et avec les lumières bleues on craint des dégénérescences de la rétine », affirme le professeur Philippe Fuchs.
Les autorités sanitaires françaises sont-elles passées à côté de quelque chose ? Ce retard, la France compte bien le rattraper. « Le ministère de la santé va valider petit à petit toutes ces pratiques sur le long terme », indique Philippe Fuchs, qui a été l’un des premiers à s’en préoccuper.
Des résultats dans « un ou deux ans »
Dès 2014, déjà, il avait alerté l’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire, car il déplorait alors un « gros manque de communication sur les risques », explique-t-il aujourd’hui. Il n’y avait alors qu’une simple enquête qui déconseillait les lunettes 3D aux moins de 13 ans. Il avait alors demandé des études plus poussées, centrées sur les visiocasques. Trois ans plus tard, l’ANSES va enfin se pencher dessus. « L’agence va faire appel à des professionnels d’ici un ou deux mois, pour étudier dès 2017 l’impact de la VR et des visiocasques sur la santé des usagers », se réjouit-il.
C’est notamment ce rapport qui déterminera si la VR est dangereuse ou non. Mais les utilisateurs risquent d’attendre dans le flou encore un moment :
« Il va falloir au moins un an ou deux ans pour avoir des résultats. Ce rapport va être compliqué à mettre en place, on part un peu dans l’inconnu », avoue Philippe Fuchs.
En attendant, les professionnels de santé vont donc devoir avancer en continuant de suivre les mises en garde des constructeurs de casques. Faire des pauses pendant les séances, ne pas les exposer trop longtemps et surtout pas trop petits… Des avertissements qui sont loin d’être approfondis, et qui soulèvent la question du principe de précaution. Les constructeurs font-ils le minimum juste pour se dédouaner en cas de procès ? « C’est envisageable. Prendre deux ans pour faire une étude, ce n’est peut-être pas le rythme d’un grand industriel et ce n’est pas forcément sa priorité… », avance Matthieu Lépine.
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