[Russell Banks est mort le 7 janvier. Pour le garder en mémoire, nous vous invitons à relire cet article]
À 82 ans, Russell Banks signe un beau roman testamentaire sur les affres de la mémoire, et la vérité d’une vie au-delà du bien et du mal.
Condamné par une maladie incurable, grabataire, le célèbre cinéaste Leonard Fife accepte pourtant qu’une équipe de télévision entre chez lui et l’interview. Sauf qu’il ne fait pas ce qu’on attend de lui, il se souvient de sa jeunesse, s’égare dans les méandres de sa mémoire. C’est à sa femme qu’il s’adresse avant tout, à elle qu’il veut se confier. Celle-ci s’emporte : “C’est les médicaments. Parfois il se met à fabuler. Ce n’est même pas à moitié vrai, il ne faut pas filmer ça.” Peu à peu, elle va le comprendre, soutenir ce qu’il a commencé à entreprendre : “Fife” enlève les masques et laisse la vérité nue éclater dans ce clair-obscur, qu’il affectionne tant dans son propre travail.
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Oh, Canada est un fascinant roman testamentaire, proustien dans sa quête d’une mémoire qui file à vau-l’eau, mais profondément banksien par les thèmes qui le parcourent : futilité bien que nécessité de l’engagement politique, beauté paradoxale de l’amour, même dans sa plus grande lâcheté, absurdité de l’existence. Le récit voyage à travers le temps et l’espace, du Vermont au Canada en passant par le Midwest, par une série de flash-backs qui sont comme autant de capsules volées sur l’oubli d’une existence disparate. On pourrait croire d’Oh, Canada, écrit par un auteur lui-même octogénaire, qu’il constitue une forme d’autobiographie déguisée. Mais Banks a déjà écrit sur lui-même, son dernier livre publié en France, Voyager, constituait un magnifique récit de vie, écrit avec l’honnêteté et l’intransigeance du Michel Leiris de L’Âge d’homme.
Exister par les mots
La véritable gageure que ce nouveau roman relève brillamment est autre : écrire sur la maladie, la vieillesse et la mort, avec humour et humanité. Ce que le récit décousu de Fife révèle, c’est que la parole la plus authentique que l’on puisse jamais avoir, vis-à-vis des autres comme de soi-même, est celle qu’on livre sur son lit de mort, quand on n’a plus rien à dissimuler, plus rien à perdre. Quand on ne craint plus les conséquences de ce que l’on dit, ni de faire du mal à ses proches, parce qu’il faut que la vérité sorte. Non par un vieux réflexe judéo-chrétien de confession, mais parce que, comme Fife se le dit à lui-même : “s’il se tait, il disparaîtra”.
Russell Banks, Oh, Canada (Actes Sud). Traduit de l’américain par Pierre Furlan. En librairie le 7 septembre.
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