Après des mois de fréquentation en berne, l’été a redonné un peu d’espoir au cinéma d’art et d’essai français. Et si les beaux jours étaient enfin là ?
Ce n’est pas le cœur léger que les professionnel·les du cinéma sont parti·es en vacances au début de l’été. Durant les six premiers mois de l’année 2022, la fréquentation des salles n’a jamais retrouvé son niveau de l’avant Covid-19. Près de 30% d’entrées en moins pour le premier semestre 2022, en comparaison avec la période de référence en 2019 : le bilan annuel à mi-parcours avait de quoi inquiéter. Et si quelque chose s’était perdu irrévocablement de la pratique de la salle chez une large proportion des spectateur·trices ? La question s’invitait dans toutes les conversations entre acteur·trices de l’industrie.
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L’été est passé et a apporté quelques signes de réconfort. Avec 13,9 millions de spectateur·trices, le mois de juillet 2022 s’est distingué comme celui comportant la fréquentation la plus élevée de toute l’année (une performance à rebours de la tendance hexagonale usuelle, où l’été n’est presque jamais la période la plus faste de l’année). Mais c’est aussi le premier mois où le nombre d’entrées parvient à égaler la période équivalente en 2019. Un signe doublement encourageant, donc. Certes, l’essentiel de ces entrées est le fait de quelques films porteurs hollywoodiens : l’excellente continuation de Top gun: Maverick, sorti depuis mai (et de loin le vainqueur de l’année avec plus de six millions au compteur), mais aussi de Jurassic world 3, Les Minions 2, ou encore Thor: Love and thunder. Un cinéma d’entertainment numérisé hollywoodien, donc. Toutefois, et c’est peut-être la meilleure des nouvelles, certains films ont pu exister notablement dans le secteur de l’art et essai.
Succès surprise
Franchissant en un mois et demi la barre des 400 000 entrées, La Nuit du 12, de Dominik Moll, est un succès assez inattendu, un des rares vraiment notables pour le cinéma d’auteur français. À sa suite, le film espagnol As bestas s’apprête lui à dépasser le seuil des 300 000. Deux indéniables réussites de distribution. Certes, on peut a posteriori échafauder des hypothèses, avancer par exemple que le cinéma d’art et d’essai marche à la condition d’emprunter des codes au cinéma de genre – en l’occurrence le film d’enquête et le polar. L’explication demeure insuffisante. Le film de Dominik Moll déjoue plus d’une idée reçue sur les recettes du succès, à commencer par l’injonction à construire les films sur des castings identifiés par le plus grand nombre (le rôle principal étant ici tenu par l’excellent, mais peu bankable à ce jour, Bastien Bouillon).
Espérons donc que ce courant favorable au cinéma d’art et d’essai de qualité profite désormais aux nombreux films d’auteurs marquants qui scandent la rentrée. Les prochaines semaines verront se succéder les beaux films de João Pedro Rodrigues (Feu follet), Alice Winocour (Revoir Paris), Rebecca Zlotowski (Les Enfants des autres), Mia Hansen-Løve (Un Beau matin), Emmanuel Mouret (Chronique d’une liaison passagère). Et dès aujourd’hui, c’est le superbe film de Claire Denis, Avec Amour et acharnement, écrit avec Christine Angot d’après un de ses livres (Un tournant de la vie), qui ouvre la marche. Interprété magistralement par Juliette Binoche, Vincent Lindon et Grégoire Colin, le film fait le récit d’une brutale rechute amoureuse, qui perturbe comme un larsen l’écoulement d’une vie conjugale paisible.
Comme l’écrit Bruno Deruisseau dans notre numéro de septembre, “par une mise en scène à vif et capable de saisir la plus infime des manifestations des vicissitudes de l’amour, Claire Denis parvient à raconter ce dilemme, en compactant à la fois sa nature platement banale et son intensité frissonnante tout en le racontant du point de vue d’une femme qui ose se livrer à ses désirs.” C’est peu dire qu’on encourage vivement les spectateur·trices à aller à sa rencontre.
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