Le producteur de techno américain Matthew Dear ne cache plus son admiration pour la cold wave et le funk blanc : une fascinante dérive sur les terres de l’indie-rock.
Le logo de son label est un petit fantôme et sa voix semble échappée d’outre-tombe. Bienvenue dans l’univers glacial de Matthew Dear, homme en noir qui ne roule pas pour les derniers créateurs fluos. Si l’actualité récente a vu des artistes rock trouver leur bonheur aux croisements de l’electro, avec à la clef un rapprochement tout bénéf pour le dance-floor, le producteur techno américain a fait la démarche inverse, en replongeant dans la cold-wave et le post-punk des années 80 pour créer à lui seul un hybride tout aussi excitant. Sa techno de Detroit, il la broie à du Talking Heads, du Can ou du Joy Division, et trouve la fusion idéale sur son deuxième album Asa Breed.
Influencé par l’école minimale à l’américaine (le maître Plastikman en tête), Dear multiplie les pseudos comme autant de bouteilles lancées dans toutes les directions, enregistrant sous le nom de Jabberjaw sur le label allemand Perlon ou sur Plus 8 et M-nus (labels de Plastikman) sous le pseudo False. Il monte alors le label Ghostly International avec son ami Sam Valenti. Mais, en 2004, c’est sous son propre nom qu’il frappe fort avec son premier album, Leave Luck to Heaven, un disque minimal mais teinté d’éclairs funk noirs et blancs, de ceux qui font les plus beaux orages.
En reprenant son patronyme pour un deuxième album suite à sa parenthèse Audion, Matthew Dear a une idée forte : “s’éloigner de la techno pure, travailler sur des sons organiques et chanter sur chaque titre.” Avec Asa Breed, on remerciera papa Dear d’avoir appris au fiston le maniement de la six-cordes, qui lui suffit aujourd’hui pour s’accompagner le temps de quelques blues solitaires (Vine to Vine, Midnight Lovers).
On se souviendra qu’adolescent My Bloody Valentine et Sonic Youth fascinaient Dear, qui ne les a pas oubliés. Ni même Radiohead, à qui le piano qui ouvre Good to be Alive semble chapardé. Ça, c’est pour l’approche indie-rock. Car en plus de sa techno funky (Fleece on Brain, Pom Pom, Don Sherry), le son qui transpire d’Asa Breed prend sa source dans la fusion black des Talking Heads et, surtout, de l’album-expérience My Life in the Bush of Ghost de David Byrne et Brian Eno : Elementary Lover, Shy ou Neighborhoods sont des tentatives rares où la techno de Detroit n’avait jamais été fondue à une telle température dans des rythmes tribaux.
Enfin, sur deux des sommets de l’album, Matthew Dear convoque les revenants de Factory Records (Joy Division ou A Certain Ratio en tête) en jouant de sa voix sépulcrale (Deserter) pour aussi donner une idée de ce qu’un TV On The Radio electro minimal pourrait produire (Midnight Lovers). Avec cet album qui restera sans doute comme l’un des sommets du genre de 2007, on n’aura jamais été aussi contents de côtoyer des fantômes.