Un splendide épisode final qui joue la simplicité absolue et la profondeur sentimentale.
Dans l’avant-dernier épisode de The Leftovers, une attaque nucléaire saturait l’écran d’une immense lumière blanche. Elle laissait augurer un ultime épisode situé dans l’au-delà, peut-être aux confins d’un autre monde, à l’unisson d’une série qui s’est attachée depuis trois saisons et vingt-huit épisodes à montrer que tout était possible au royaume des fictions contemporaines magnifiquement perchées. Après tout, elle a raconté l’histoire folle (basée sur le livre éponyme de Tom Perrotta) des survivants d’une apocalypse : un beau jour, 2% de la population a disparu, évaporée, sans laisser de trace.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop","device":"desktop"}
The Leftovers a passé son temps à chercher dans le cerveau et sur le corps de ses personnages les stigmates de cet horrible arrachement. Elle ne s’est pas privée de décoller de la platitude du réel pour toucher des contrées imaginaires et peupler ses héro.ïne.s de vies connexes et multiples. Elle a même fait de son protagoniste un messie en puissance et un tueur à gages déphasé en proie à son double – revenait-il d’une escapade à Twin Peaks ou chez Le Prisonnier ? Elle aurait pu se terminer sur un gros bang, mais The Book of Nora, son splendide épisode final, joue la simplicité absolue et la profondeur sentimentale. Un choix gagnant.
Damon Lindelof avait la pression
Terminer une série n’a jamais rien d’une affaire légère, pour le spectateur forcé de se défaire de figures et d’images aimées, mais aussi pour les créateurs qui doivent apprendre à gérer une déstabilisante contradiction : conclure un récit dans un genre dont la raison d’exister se trouve lié au refus de finir. Historiquement, les séries n’ont jamais été faites pour se terminer, mais pour continuer jusqu’à épuisement – c’était le point de vue de l’industrie, qui est en train de changer.
La fin n’est devenue une question majeure qu’assez récemment à l’échelle du temps-Hollywood. Damon Lindelof, co-créateur de The Leftovers, en sait quelque chose. Il a passé quelques années à ruminer la violence des commentaires sur le dernier épisode de sa précédente série, Lost, diffusé en 2011 et toujours haï aujourd’hui. Il a même connu un moment dépressif avant de trouver un répit créatif dans The Leftovers. Bien lui en a pris. Il vient de réussir une fin qui restera parmi les plus belles, pas si éloignée au panthéon de l’élégant atterrissage de Friday Night Lights et de l’intouchable catharsis de Six Feet Under.
L’épisode, dans toute sa majesté, prend le parti d’évacuer d’un revers de la main l’hypothèse principale : au septième anniversaire du « grand départ », l’apocalypse n’a pas eu lieu. Nous retrouvons Nora Durst (extraordinaire Carrie Coon) là où nous l’avons laissée quelques semaines auparavant, s’apprêtant à embarquer dans une machine inventée par un scientifique pour retrouver les disparus. Cet œuf de verre, cette capsule transparente dans laquelle elle doit entrer nue avant d’être recouverte par un fluide – amniotique ? – est censée l’amener vers ses enfants perdus. Y croit-elle vraiment ? Rien n’est moins sûr. Elle a envie d’y croire et c’est suffisant. Comme nous.
Un rituel de disparition
Alors, elle prend le temps de dire au revoir à Matt (Christopher Eccleston) au bord de la mer. Cette scène d’une lenteur fulgurante remplit la fonction d’un rituel d’adieux avant la disparition. Un classique des fins de séries, dont l’originalité est de ne pas survenir aux ultimes instants. Ici, un frère malade et une sœur sur le point de filer vers l’inconnu n’ont rien d’autre à se dire que l’amour et le manque. Elle finit par entrer dans la sphère. La séquence se termine au moment où elle va être engloutie par le liquide. Nous n’en verrons pas plus.
C’est le coup de force de ce dernier épisode de The Leftovers : faire du moment potentiellement le plus spectaculaire, qui pourrait offrir au personnage et au spectateur les fameuses « réponses » aux interrogations sur le destin des 2% de disparus, un point aveugle. Bientôt, nous voici transportés quelques décennies plus tard. Des cheveux blancs sur le crâne, Nora est toujours vivante. Elle mène une vie simple dans la campagne d’Australie, sous un autre nom. Un homme la recherche, lui annonce sa voisine. Plutôt que de s’achever sur des adieux, la série va se terminer sur des retrouvailles. On ne saurait dire à quel point cette idée simple, ce retournement fluide des valeurs, nous assomme de beauté. Cet homme, c’est Kevin (Justin Theroux, héros de la série devenu ici un très bel écoutant). Il a lui aussi les cheveux poivre et sel, doublés de quelques rides discrètes. Nora voulait vivre loin de tout avec un secret. On comprend qu’il a cherché longtemps et qu’il l’a enfin retrouvée.
L’amour et la croyance
Voici pour eux l’occasion de danser le plus beau slow du monde et de se dire enfin la vérité. En léchant leurs larmes, The Leftovers s’assume en récit romantique déchirant, dont on ne trouve un équivalent récent que dans In The Mood for Love et 2046 de Wong Kar-wai, ces percées filmiques inoubliables dans le cosmos des sentiments éternels. Nora va accepter de retrouver celui qu’elle a aimé et qu’elle aime toujours. Mais cela doit passer par un nouveau rituel. Un rituel de croyance. Le thème majeur de cet épisode et de toute l’œuvre de Damon Lindelof.
Nora raconte à Kevin et aux spectateurs médusés qu’elle est bien allée de l’autre côté. La sphère transparente a fonctionné. Elle a vu ses enfants et son mari, elle les a observés de loin, le temps de comprendre qu’ils menaient eux aussi une vie sans elle. Pour les 2% de la population évaporés, explique Nora, les disparus, c’était eux. « Nous en avons perdu certains d’entre eux, mais eux, ils nous ont tous perdus »… Elle est repartie sans vouloir déranger le fragile équilibre qu’ils s’étaient constitués.
Ecrire une autre histoire que celle que la vie écrit avec nous est illusoire, nous apprend Nora. De son récit, bien sûr, nous ne voyons rien. Sa parole suffit. La caméra de Mimi Leder – réalisatrice inspirée de la plupart des grands épisodes de la série – reste sur son visage devenu profond, comme si l’archéologie d’une vie se rassemblait dans un regard. La question de la véracité de ce que dit Nora se pose. Mais croire importe davantage que de douter, l’amour et la croyance sont les deux faces d’une même pièce. The Leftovers, c’était donc cela : la preuve qu’il restera toujours de l’invisible, de l’impalpable dans nos vies réelles et rêvées, et qu’elles méritent toutes d’être vécues.
The Leftovers, épisode final. Sur OCS City et OCS Go.
{"type":"Banniere-Basse","device":"desktop"}