Jan Goossens, le directeur du festival, veut engager “le dialogue entre Marseille ville-monde et la monde autour”. C’est chose faite avec deux jeunes artistes venus d’Amérique du Sud qui œuvrent à (re)dessiner une cartographie du geste. )le Chilien José Vidal avec son “Sacre du printemps” participatif, le Brésilien Bruno Beltrão avec son hip-hop pionnier.
Peut-on parler d’une nouvelle vague de chorégraphes sud-américains ?
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D’une rive à l’autre José Vidal – En tant que Chilien, je dois dire que nous nous rapprochons tout juste des autres chorégraphes sud-américains et de cette scène. Je n’en connais que quelques-uns qui se produisent depuis un petit moment : par exemple, Lia Rodrigues et Constanza Macras (cette dernière, Argentine, est installée à Berlin – ndlr). Nous sommes peut-être au début d’une nouvelle vague, qui sait… En tout cas, ce serait sympa de l’envisager de cette façon-là.
Le Chili est-il isolé sur cette scène ?
Il n’y a pas beaucoup de relations d’un point de vue historique. Paradoxalement, c’est avec nos voisins les plus proches que nous avons le moins de liens. Récemment, nombre de professeurs argentins sont venus donner des workshops à Santiago du Chili. Ce sont de très rares visites de compagnies de pays frères… Et plus rares encore sont les déplacements de professeurs et de compagnies chiliennes en Argentine. Avec le Brésil, nous avons connu quelques initiatives et, en 2013, j’ai moi-même été invité à me produire avec une vingtaine de danseurs et d’autres jeunes chorégraphes, dans tout le pays, pendant deux mois. C’était fantastique de se rencontrer et d’échanger, mais il n’y a pas eu de programme réciproque et cela ne s’est pas renouvelé.
Vous avez travaillé à Londres : quelles sont les différences majeures avec la scène chilienne ?
Il existe à Londres une grande communauté de danseurs et les jeunes chorégraphes bénéficient d’un appui important. J’en ai eu la preuve à titre personnel. Ils vous suivent dès l’école et vous aident s’ils pressentent un nouveau talent ou quelqu’un qui travaille dur. Vous vous sentez appuyé et guidé. Cela permet de franchir plus vite les étapes et donne beaucoup d’autorité et d’expertise. Je me souviens encore de ma première résidence à The Place à Londres, de l’excitation et du sentiment de challenge – juste ce qu’il fallait pour ne pas vous bloquer ! Dix minutes de travail au studio, quinze minutes de travail théâtral, retour au studio, etc. Et de l’argent pour la production. Tellement confortable… Je dirais qu’au Chili, la communauté s’est considérablement élargie mais le niveau technique n’est pas encore satisfaisant, même si on s’en rapproche. Et puis nous n’avons pas de support institutionnel. Il n’y a pas beaucoup d’argent pour les arts en général, et la danse semble être la dernière servie. C’est triste.
Votre spectacle Rito de Primavera n’est-il pas davantage un hymne à la danse qu’un hommage au Sacre du printemps ?
A l’origine, je voulais travailler sur Le Sacre parce que j’aime cette musique qui me rappelle des souvenirs d’enfance. Ma mère était danseuse, elle passait le disque et dansait dessus. Elle nous envoyait faire une sieste avec Stravinsky en fond sonore ! Et puis je me souviens de sa réaction quand elle a vu la version de Pina Bausch. L’année 2013, celle du centenaire de la création du Sacre du printemps (au Théâtre des Champs-Elysées, en 1913 – ndlr) fut pour moi une excuse parfaite pour essayer ma version, sans préjudices et en toute modestie.
Au début, je voulais que les interprètes chantent – je dis “interprètes” parce que, dès les débuts de ma compagnie, j’ai eu des gens venant d’horizons artistiques différents. L’utilisation de la voix me semblait fondamentale du point de vue du corps et de ses possibilités. Je dirais qu’il s’agit d’une célébration de la danse, qui est aussi une célébration de la diversité des désirs sexuels et des unions entre les êtres. C’était important pour moi d’exprimer ces thèmes sur scène d’une manière qui n’offensait personne, parce que le Chili est un pays vraiment conservateur. L’amour est à la base de ma version, l’amour de toute l’humanité, les corps, la nudité, la sueur, l’esprit communautaire, la tribu, la famille. L’idée que nous sommes tous égaux et beaux et que nous méritons tous d’être aimé et d’aimer.
Ce spectacle est aussi une célébration de l’histoire de la danse, parce qu’il montre, de manière très contemporaine, un chef-d’œuvre qui appartient à des générations plus anciennes. La rave est un nouveau rituel de danse. La musique électronique apporte un sentiment de célébration, de party.
Vous avez imaginé que le public pourrait participer à ce Sacre…
La plupart de mes travaux s’appuient sur la participation du public, et celle-ci peut s’exprimer de différentes manières. Comme la fois où nous avons donné Rito de Primavera à Santiago : à un moment, on demande au public de monter sur scène. Normalement, après ce passage, les gens repartent s’asseoir en silence. Mais à deux reprises, ils sont restés sur le plateau pour le dernier tableau. Celui-ci est très calme, les interprètes se mettent en cercle, chantent des vocalises et des mélodies en faisant des petits tours. J’étais un peu effrayé et je me demandais comment ils allaient réagir, mais finalement, tout s’est très bien passé. On pouvait sentir une certaine émotion. C’était une fin parfaite, l’incarnation réussie de mes idées et de mes utopies.
propos recueillis par Philippe Noisette (traduction J.-L. Morel)
Rito de Primavera de José Vidal, les 15 et 16 juin à 20 h 30, le 17 juin à 23 h, Friche la Belle de Mai – Cartonnerie
Bruno Beltrão à toute vitesse
Le Brésilien offre au Festival de Marseille la primeur française de sa nouvelle création autour du thème de la marche. Les temps changent. Bruno Beltrão peut aligner aujourd’hui une demi-douzaine de coproducteurs pour chacune de ses chorégraphies. Il est loin le temps de ses débuts, à 13 ans, dans la banlieue de Rio de Janeiro. Il dansait alors partout, c’est-à-dire dans la rue, s’inspirant du hip-hop et du style des clips vidéo. Les mouvements du quotidien vont devenir sa grammaire gestuelle.
A la fois locale et globale, sa danse urbaine a l’intelligence vive. Le Grupo de Rua de Niterói, qu’il fonde avec son ami d’enfance Rodrigo Bernardi, devient ce creuset de talents bruts. Mais Beltrão sent qu’il lui manque un outil théorique : il s’inscrit à la fac de Rio, en histoire de l’art et en philo. “Je ne connais pas la différence entre comprendre et représenter”, dira-t-il plus tard. En quelques pièces, comme Too Legit to Quit (2002), H2 (2005) et H3 (2008), il impose sur scène son hip-hop ultra- contemporain, notamment en Europe.
A notre dernière rencontre, au moment de la création de CRACKz (2013), on questionnait le chorégraphe sur le Brésil. “Mon pays n’a jamais été bon pour ses artistes. En quinze ans d’existence, le Grupo de Rua a surtout été sponsorisé par les autres pays ! Aujourd’hui, l’Etat préfère exonérer les entreprises de certaines taxes pour qu’elles aident les arts, plutôt que de donner des fonds directement. Mais, du coup, on sponsorise de gros shows ou la télévision, pas les créateurs les plus fragiles. Nos politiques sont aussi stupides qu’ailleurs.”
Depuis, le Brésil a changé de gouvernement et d’orientation politique. La culture, quant à elle, ne peut plus compter que sur elle-même. Pour sa nouvelle pièce, qui réunit une dizaine d’interprètes, Beltrão a travaillé sur le thème de la marche “pour évoquer celle que les migrants affrontent partout dans le monde”. Marcher, s’arrêter, aller vers l’autre : il a déjà donné dans ses spectacles. Mais avec cette performance, Bruno Beltrão entend aujourd’hui faire de sa danse un geste réconciliateur.
P. N.
Création 2017 de Bruno Beltrão, le 27 juin à 20 h 30 et le 28 juin à 10 h, Le Silo
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