Artiste iconoclaste, France Bizot réactive la figure esthétique, religieuse et affective, de l’icône à l’heure des réseaux sociaux. Une réhabilitation intime et émouvante.
Nous vivons tous parmi des icônes, fantasmes ultimes de nos vies minuscules. Elles nous encerclent, nous regardent autant que nous les contemplons. Nous en rêvons, nous nous approprions celles qui nous aspirent, nous projetons en elles tout ce que nous voudrions être, nous en produisons même parfois quelques-unes, nos icônes secrètes.
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Les “iCônes“ exposés par France Bizot à la galerie Backlash procèdent de cette fascination commune à toutes les sociétés humaines, par-delà les querelles historiques sur l’idolâtrie ou l’iconoclasme. L’artiste s’attache ici aux icônes, les siennes, en jouant, avec ses propres formes, sur la porosité de la définition même du mot. Ce dernier renvoie en effet à trois systèmes de significations distincts : une petite image religieuse, peinte en bois, censée exprimer la transcendance, représentant la réalité du Royaume qui n’est pas de ce monde ; mais aussi le visage d’une star, idolâtrée à l’âge de la culture de masse ; ou encore le symbole graphique affiché sur un écran de téléphone ou d’ordinateur, celui qui résume nos affects et nos pulsions à l’heure des réseaux sociaux.
Suzanne, 2017Crayon et gouache sur papier15 x 21 cm
C’est en imbriquant ces différents champs esthétiques et intimes, dont la langue française n’a pas les ressources pour distinguer les reliefs disséminés, que l’artiste a réalisé 24 portraits, au crayon et à la gouache, dont la taille, réduite (15cm x 21cm souvent), s’ajuste à celle des vraies icônes christiques. Outre qu’aucune figure religieuse n’est ici représentée, l’étrangeté de ces icônes tient surtout à leur qualité plastique : sur chaque visage peint, des formes géométriques mobiles (des points, des traits, comme des fils entremêlés) se superposent, conférant à l’image un statut féérique, quasi abstrait. Comme si Cy Twombly s’incrustait sur une image de Vogue.
Cette incrustation de signes graphiques au cœur d’une image condensant le visage d’une femme (pas d’icônes masculines dans le panthéon de France Bizot) produit un effet mystérieux, comme si l’artiste inscrivait sur chaque visage la marque de son attachement ; la marque graphique d’une affection, le signe imprimé du lien qui l’unit aux femmes de son cœur vibrant. Parmi elles, la propre mère de l’artiste revient plusieurs fois : une manière de rappeler que le modèle de l’icône naît d’abord de l’amour filial.
“Des portraits de ma mère photographiés dans les vieux albums familiaux à la capture d’écran de mes différentes poursuites (following, followers) sur Instagram ou autres réseaux sociaux, chaque “icône” est l’objet de ma fascination pour une image du passé ou bien pour un instantané capturé pour sa beauté, son histoire, son mystère ou son étrange», explique France Bizot.
Lee Miller, 2017Crayon et gouache sur papier15 x 21 cm
A côté du visage de la mère, peint à différents moments de sa vie depuis la petite enfance, d’autres icônes populaires surgissent, telles l’actrice Anna Karina, en religieuse pour le coup (celle du film de Jacques Rivette), la Queen Elisabeth, l’actrice Nathalie Portman ou la photographe Lee Miller, toutes deux sublimées, dans des tons noir et blanc relevés par des touches bleutées.
D’autres femmes, moins célèbres, comme Mme Alphonse Karr, des jeunes filles comme Suzanne, complètent ce panorama émouvant, dont la délicatesse des traits, les secrets qu’il charrie, la beauté plastique du dessin, saisissent le regard. Ce regard captivé est moins celui d’un fan contemplant une idole que celui d’un profane découvrant la forme du sacré que seul un système esthétique est capable de produire.
Renouvelant, à la mesure des techniques de son temps ainsi que de son imaginaire, la forme consacrée de l’icône, France Bizot sonde autant les secrètes profondeurs de notre fascination partagée pour les visages des stars qui nous entourent que sa propre réflexion sur la manière de regarder ces corps iconiques perdus dans l’accélération de l’histoire et des réseaux sociaux. Stimulant chez nous ce sentiment d’idolâtrie qui se réveille devant ces visages striés par la main de l’artiste, France Bizot convoque, de manière iconoclaste, l’ambiguïté de notre regard, tiraillé dans son exercice d’admiration entre la distance et le débordement, entre l’amour et la passion.
France Bizot, iCônes, jusqu’au 22 juillet, galerie Backlash, 29 rue Notre-Dame de Nazareth 75003 Paris
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