Avec tendresse, émotion et humour, Arthur Nauzyciel reprend son adaptation du roman de Yannick Haenel consacré à Jan Karski, l’annonceur de la Shoah dont le message ne fut pas entendu.
Avec la majesté de la lune, tu brilles comme les étoiles” : hit yiddish des jewish ballrooms new-yorkais de l’après-guerre interprété par les Feder Sisters, Sheyn vi di levone accompagne un numéro de claquettes d’Arthur Nauzyciel dans Jan Karski (mon nom est une fiction). Sa manière d’honorer le résistant polonais missionné auprès des alliés à Londres puis aux Etats-Unis pour les alerter dès 1942 sur l’extermination programmée des Juifs d’Europe dans la Pologne occupée par l’Allemagne nazie.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Ce faisant, le numéro de music-hall est aussi une dédicace à son grand-père et à son oncle qui portaient les claquettes de bois des déportés dans l’enfer d’Auschwitz. “Paradoxalement, aborder la Shoah de front est une façon de la mettre à distance, précise Arthur Nauzyciel. Même si ça reste très personnel, je la vis d’une tout autre manière, et comme le dit Kafka, ce dont on parle… c’est l’histoire mondiale de nos âmes.”
La fiction et la mémoire
Avec ce spectacle créé au Festival d’Avignon 2011, le metteur en scène adapte pour la scène le roman de Yannick Haenel, Jan Karski (Gallimard, 2009) en se réclamant de la phrase de Paul Celan : “Personne ne témoigne pour le témoin.” D’où sa volonté de pouvoir user de la fiction pour lutter contre l’effacement des mémoires.
Comme le roman, le spectacle est divisé en trois séquences. En ouverture, Arthur Nauzyciel incarne Jan Karski dans son appartement new-yorkais. Après quelque trente années de silence, celui-ci témoigne face à une caméra pour le film Shoah (1985) de Claude Lanzmann. Renouant avec le dialogue, c’est cette parole retrouvée que la tap dance glorifie.
Avec son livre paru aux Etats-Unis en 1944, Mon témoignage devant le monde – Histoire d’un Etat secret, Jan Karski raconte son périple à travers l’Europe. La deuxième partie consacre le récit autobiographique. Rapportée par la voix de Marthe Keller, l’épopée vaine a pour toile de fond une œuvre de l’artiste polonais Miroslaw Balka, le parcours en zigzag d’une vidéo hypnotique suivant les contours du parcellaire du ghetto de Varsovie.
Cri d’alarme perdu
C’est dans la spirale d’un décor inspiré par le hall de l’opéra de Varsovie que Laurent Poitrenaux est un ultime Karski dans ce dernier volet, où Yannick Haenel s’autorise à inventer ce que pourrait être le ressenti d’avoir été le messager d’un cri d’alarme jamais entendu.
Rejoint par sa femme, qui était danseuse (Manon Greiner), le héros débriefe sa rencontre à Washington avec le président Roosevelt. Dans l’émotion contenue de ce manifeste théâtral, Arthur Nauzyciel témoigne avec brio d’un projet artistique apte à endiguer l’oubli.
Jan Karski (mon nom est une fiction) d’après le roman de Yannick Haenel, adaptation et mise en scène Arthur Nauzyciel, avec lui-même, Manon Greiner, Laurent Poitrenaux et la voix de Marthe Keller, du 8 au 18 juin au Théâtre national de La Colline, Paris XXe. En tournée en 2018
{"type":"Banniere-Basse"}