Ils nous racontent leurs nuits, les blanches, les noires. Entre crépuscule et aurore, éclairés à la bougie ou aveuglés par les néons, ils se révèlent sous un jour nouveau et dévoilent leur part d’ombre. Cette semaine, rencontre nocturne avec Marc-Olivier Fogiel, homme de télévision (“Le Divan” sur France 3) et de radio (“RTL Soir” et “On refait le monde” sur RTL).
C’est un petit garçon qui a peur du noir. Il fait nuit. Le grand appartement dans lequel il vit est plongé dans l’obscurité : son père a éteint toutes les lumières. Marc-Olivier doit maintenant le retrouver, ce père chirurgien-dentiste, qui soigne parfois des prisonniers – le petit garçon l’a déjà entendu parler de l’un d’entre eux, Patrick Henry, qui a enlevé et tué un enfant de sept ans : ça l’a tétanisé. Et là il fait si noir… Il sait que son père l’attend, mais il est loin, très loin, il est à l’autre bout de l’appartement. Le petit garçon se lance, avance dans le couloir, doucement, traverse les pièces sombres… jusqu’à le retrouver.
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Marc-Olivier Fogiel : “J’avais un père qui nous éprouvait beaucoup. Que ce soit moi, mon frère ou ma sœur. Il ne nous laissait pas avec nos peurs. Il fallait les affronter, les dépasser. C’est avec cette méthode qu’il a combattu ma phobie du noir. » Il sourit : “C’était dur… Mais efficace. Ça m’a servi dans ma vie. J’ai toujours cherché à aller vers les choses dont j’avais peur de ne pas être capable.”
C’est un enfant complexé, en surpoids : « le gros de la classe dispensé de gym.” Très jeune, nuit et jour, il rêve d’être connu, reconnu. Il rêve de radio : il veut devenir reporter à RTL. Heureusement son père ne soigne pas que des prisonniers, il traite aussi les caries des journalistes. Marc-Olivier Fogiel : « J’ai eu la chance, vers 12 ans, de me lever tôt pour aller assister aux émissions de RTL.” Là-bas, on s’habitue à la présence du jeune garçon – bientôt on le surnomme « Pampers ». Dès ses 16 ans, l’âge légal, il commence à y bosser. Il dit : « C’était mon premier boulot de journaliste. Plusieurs nuits par semaine, entre deux journées de lycée, j’allais découper les dépêches des agences. C’était le job de ceux qui voulaient faire de la radio sans passer par les écoles. Il fallait s’occuper des télex, les hiérarchiser et aller donner la synthèse dans les différents services. J’adorais ça. » Porté par la passion, il enchaîne les nuits sans se fatiguer. Il dit : « Ça me permettait de me différencier de mes camarades, d’avoir une activité en plus – d’être différent. »
Les nuits démentes
En parallèle, il fait un deug d’économie : “Pas inutile pour comprendre le monde.” La nuit, il écoute Macha Béranger sur France Inter, hypnotisé par sa voix profonde et fasciné par les histoires intimes de ses auditeurs. Il squatte toujours régulièrement les locaux de RTL et espère y devenir reporter au plus tôt. Mais un jour, brutalement, le directeur de l’info, Olivier Mazerolle, brise son rêve de gosse. Marc-Olivier Fogiel : « Il m’a dit ‘je ne t’embaucherai jamais à RTL’. Il m’avait peut-être vu trop petit, je ne sais pas… En tout cas, le monde s’est effondré. »
Finalement, la star de l’époque, Patrick Sabatier, touché par son parcours, lui propose de le suivre à la télé – sur TF1, où il sera assistant de production. Quatre ans après, il se fait embaucher par Canal + et travaille pour l’émission Télés Dimanche de Michel Denisot, dont il prendra les rênes quelques années plus tard. Marc-Olivier Fogiel avait jusque-là des nuits tranquilles – “Je considérais la nuit comme le moment où je devais récupérer de ma tendance à la suractivité” – il va découvrir les nuits Canal grande époque. Ça réveille. Il dit :
“Elles étaient sans limites, absolument démentes. J’ai découvert un autre monde, où tout était possible, où tout était génial. J’étais fasciné. Le jour c’était dingue aussi, mais la nuit était une espèce de condensé exponentiel de ce qu’on vivait au quotidien. Ce n’étaient pas les gens de Canal qui allaient dans des boîtes à la mode, mais les boîtes qui devenaient à la mode parce que les gens de Canal y allaient. Le Niel’s, Les Bains Douches… J’ai le souvenir d’une soirée d’hiver organisée par la chaîne, sur l’hippodrome de Longchamp, avec des pistes de ski artificielles, des montagnes de bouffe…”
Des montagnes de bouffe… et des pistes de coke. Marc-Olivier Fogiel : « J’y suis allé super mollo. J’ai essayé hein, soyons clairs, mais je ne suis pas rentré à fond dans la défonce, qui était quand même assez partagée. Comme j’ai une tendance à faire tout à l’excès, j’ai voulu me préserver. L’alcool aussi, je faisais gaffe. Je picolais mais jamais au point d’être complètement bourré. J’étais absolument fasciné, jamais le premier à partir… Mais je ne me suis pas abandonné, je ne me suis pas perdu.”
Il évoque avec délicatesse Jean-Luc Delarue : « Je partageais avec lui cette tendance à l’excès dans tout – on en a souvent parlé d’ailleurs. Et je l’ai trop vu s’abîmer. Je me suis dit ‘si j’emprunte sa voie, je n’arriverai pas à m’arrêter’. Il m’a servi de contre-exemple. » Il ajoute : « J’ai toujours eu un instinct de préservation assez fort, lié à mon histoire personnelle. » Il effleure avec pudeur les réminiscences d’une enfance où la maladie était très présente, flottant dans la maison, frappant notamment ses parents, et hantant les nuits. Il dit : “La manière dont j’ai été élevé et les contraintes que la maladie imposait dans nos vies, où tout, y compris le pire, était toujours possible, m’ont donné un fort sens de la responsabilité. J’ai su m’arrêter avant le danger.”
La nuit à deux
S’il ne s’est pas abandonné, c’est aussi parce qu’il n’était pas seul. Très vite, il a trouvé quelqu’un pour l’attendre le soir, des bras prêts à s’ouvrir dans la nuit. Il dit : “J’ai très tôt été en couple, et la vie à deux m’équilibrait, me structurait. Je suis resté avec la même personne pendant toutes les années Canal. Et heureusement, parce que quand arrivent vos premiers succès professionnels, vous êtes un peu grisé, excité, vous n’avez pas envie d’aller vous coucher. Que quelqu’un m’attende à la maison m’a aidé à ne pas me perdre. Autrement, je pense que j’aurais pu me laisser emporter.”
Après Canal +, il retrouve la radio avec France Inter et lance sur France 3 le talk-show à succès On ne peut pas plaire à tout le monde. Le jour, tout lui sourit, et il en est satisfait. Il en a même besoin. Il dit : « La notoriété, c’était clairement une envie, immature mais assumée. L’ego, ça allait plus loin : c’était une forme de pouvoir, la volonté d’être là où ça se passe, d’être le patron d’une boîte où il y avait cent gus. C’était une volonté d’exister, mais pas forcément dans la rue, c’était plus général. C’était exister dans la vie.”
Ses jours sont pleins mais soudain, ses nuits sont vides : son couple se brise et il se retrouve plongé dans un monde qu’il connaît peu, et qui fait peur. Le monde des nuits solitaires. Du tête-à-tête avec le noir. Ces nuits dépeuplées, il décide de les fuir :
« Je me suis mis à plus sortir, j’ai connu le plaisir des virées en boîte après une émission, où vous vous lâchez vraiment, où tout vous parait possible, où vous franchissez les limites. Mais ça a duré peu de temps. Et encore une fois, heureusement que je n’ai pas connu ça avant. Mon succès n’étant plus tout frais et nouveau, j’étais quand même moins grisé par tout ça. Et j’avais déjà pas mal travaillé sur moi-même. »
Le noir
Il a longuement exploré les zones d’ombre qu’il portait en lui. Dix-huit ans de psychanalyse. Ça a démarré en 1996, il avait 27 ans. Il dit : « J’avais un mal-être récurrent, je reproduisais toujours les mêmes difficultés. Mais je ne vais pas raconter pourquoi je suis rentré, c’est trop perso. » On lui demande combien de séances par semaine – une, deux ? Il rigole : « Les bonnes années, oui. Mais souvent plus. » Il dit : « J’ai longtemps été anxieux du lendemain« . Il dit : « J’étais persuadé que je mourrais jeune – et je suis incapable d’expliquer pourquoi. » Il dit : « J’ai refait mon testament une trentaine de fois. Pour protéger les gens qui sont là. » On lui rappelle qu’il n’a que 47 ans. Il évacue : “Bon, peut-être. Mais aujourd’hui je pense à mes filles, et je me dis que si ça m’arrive – si ça m’arrive prématurément – je ne veux pas qu’elles soient confrontées à une difficulté. »
Quoi d’aussi noir que la mort ? La nuit : « Pendant longtemps, pour moi, la nuit, c’était là où tombaient les mauvaises nouvelles, là où on apprenait que quelqu’un était mort. Ça m’est arrivé plusieurs fois, des proches, des copains. La mauvaise nouvelle arrive la nuit. » Il a des rêves et des cauchemars récurrents, souvent liés à des personnes qui ne sont plus là. Il dit : « Au-delà de ma famille, j’ai connu les années sida. Je fais partie d’une génération qui a perdu beaucoup de copains dans la maladie. Ça, c’est quelque chose qui me restera. Évidemment. »
Il a traversé deux dépressions. L’une après une rupture, l’autre après avoir survécu au tsunami de décembre 2004, alors qu’il était en Thaïlande. Marc-Olivier Fogiel :
« Ça m’a hanté. Le jour, la nuit. Insomnie, impossibilité de se coucher, angoisse. Quand on est dans ces périodes-là, il y a les médocs – pour vous apaiser, vous faire dormir. Le fait d’être aidé chimiquement est encore très tabou, ce serait un truc de faiblesse… Non. Je pense que c’est utile de le dire : l’aide chimique, prescrite pas un spécialiste, ce n’est pas honteux : c’est indispensable. Ça m’a permis de traverser des nuits compliquées. Le jour vous souffrez, mais la nuit c’est pire, tout est accentué. Et puis je fais un métier public. À l’époque, j’étais dans l’infotainment, un truc plutôt guilleret. Arriver à donner le change à l’antenne, à composer avec le mal-être, ce n’était pas évident.”
Les nuits intenses
En 2006, il quitte France 3 pour M6. Mais au bout de deux saisons, son talk-show T’empêches tout le monde de dormir n’est pas reconduit, faute d’audience. Marc-Olivier décide d’arrêter la télé et de revenir à son premier amour, la radio, en animant la matinale d’Europe 1. Ses nuits en sont bien sûr bouleversées. Couché à 22 h, levé à 2h30. Il dit :
« C’était une vie monacale mais j’ai adoré. On a l’impression de vivre un moment vraiment à part. Dans le taxi, je voyais défiler Paris la nuit, et des choses revenaient : il y avait ce joggeur, toujours le même, toujours à la même heure, autour des Tuileries… Et puis la nuit, vous nouez des liens différents avec les gens. Vous partagez un temps que d’autres ne vivent pas. Ça crée une intensité dans la relation. On ne s’embarrasse pas des codes qu’on peut avoir dans la journée, c’est plus cash. D’ailleurs, beaucoup de mes meilleurs amis d’aujourd’hui, je les ai rencontrés dans ce cadre-là, à Europe. Ce sont des amitiés qui sont nées pendant la nuit. »
Mais ce rythme intense a bousillé son sommeil. S’il s’endort très facilement, ses nuits sont dorénavant hachées : “Je me lève tout le temps. Avant ça, j’avais des nuits paisibles, j’arrivais à mettre de côté mes problèmes au moment de m’endormir – quand je pionçais, je pionçais. Maintenant, c’est plus agité, je me réveille, je tente de me rendormir… Quand je vois que je n’y arriverai pas, le premier truc, c’est Twitter. L’actu, les alertes. Des notes professionnelles sur ce que je dois faire. Et puis je bouquine, ou plutôt je bachotte les livres de mes invités à venir.”
Il finit par se rendormir. L’aube pointe, il se réveille… et quelque chose l’oppresse. Il dit : « Depuis que j’ai mes enfants, j’ai découvert la peur du petit matin. J’appréhende la journée comme un Everest. Je n’avais jamais connu ça. C’est immatériel, ce n’est pas fondé… Aujourd’hui, même si je bosse toujours beaucoup, j’ai aménagé ma vie de manière à travailler uniquement dans le plaisir, jamais dans la contrainte. »
La lumière
C’est un homme allégé, adouci. Professionnellement, il a atténué cette image agressive qui lui collait à la peau – lui qu’on surnommait le pitbull, le roquet, et dont la marionnette aux Guignols était systématiquement acoquinée avec une hyène apprivoisée. Il dit : « Aujourd’hui j’ai réglé le mal-être. Je n’ai gardé que les bons côtés de mon angoisse. » Il sourit, montre sa main – sur le bout de ses doigts sont enroulés des pansements pour l’empêcher de se manger les peaux et soigner celles déjà entamées : “Bon, on ne règle jamais totalement ses névroses, il y a toujours le stress, hein”. Par le passé, il avait un autre toc : il s’arrachait le cuir chevelu. Marc-Olivier Fogiel : « Je ne serai jamais apaisé définitivement, ça n’existe pas ça. Mais je pense avoir réglé à peu près toutes les choses pour lesquelles je suis allé consulter. En tout cas suffisamment pour me considérer comme ‘heureux’. » Il ajoute : « Ce que j’aurais eu du mal à vous dire il y a quelques années. »
Aujourd’hui, il est marié, à un homme qu’il aime. Ils ont deux petites filles, cinq et trois ans. L’été, ils invitent leurs amis au cap Ferret. Il dit : « Les nuits d’été du cap Ferret, en face de la dune, c’est doux… Même l’alcool est doux. Vous n’êtes pas bourré comme en soirée, c’est différent… » Marc-Olivier :
« Mes plus belles nuits, ce sont ces nuits de discussion avec mes proches. Jamais à mille, plutôt en petit comité. À tchatcher, à convaincre, à s’engueuler. Dans les dîners à plusieurs, dans les soirées, j’ai toujours eu tendance à me mettre en retrait, à observer. Je donnais l’impression que je me faisais chier parce que je me taisais – alors que pas du tout. Aujourd’hui, avec mes enfants, mes nuits ont complètement changé. Ce sont des nuits casanières. Je rentre tôt, je ne fais pas grand-chose, mais je n’ai aucune frustration. Je ne me dis jamais : j’aimerais être ailleurs. J’ai déjà connu les nuits intenses, interminables, de travail, de discussion, de fête. J’ai l’impression que dans mon parcours, j’ai toujours vécu les choses au bon moment. Maintenant, j’aime bien être tranquille. »
Le soir, à 20 heures, après deux heures d’antenne, il sort des locaux de RTL, la radio qui habitait les rêves de son enfance. Il rentre chez lui, retrouve son mari, va coucher ses filles. Marc-Olivier Fogiel : « Il arrive qu’elles me réveillent en pleine nuit, après un cauchemar par exemple. Je dois les rassurer, les raccompagner vers le sommeil. » Il dit : « J’adore ça« . Pour les endormir, il leur raconte une histoire…
Flashback… C’est un petit garçon qui avait peur du noir. Qui a eu besoin de briller dans la lumière pour devenir l’homme qu’il voulait. Qui a réussi à ne pas se brûler. Qui, une fois père, a su trouver la douceur, apprendre les mots, connaître les gestes qui, la nuit, apaisent les enfants. On demande à cet homme – Marc-Olivier Fogiel – si ses petites filles ont peur du noir. Il sourit : « Pas du tout« .
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