A l’occasion de la sortie des « Fantômes d’Ismaël » – film dont l’ampleur romanesque et la virtuosité de la mise en scène ont ébloui toute la rédaction – Jean-Marc Lalanne, journaliste aux Inrocks, recevait le réalisateur Arnaud Desplechin dans l’émission « Dans les yeux de… » sur Radio Nova.
Figure de proue du renouveau du cinéma français d’auteur des 90’s, Arnaud Desplechin a construit en seulement neuf longs-métrages, une œuvre d’une grande richesse et cohérence, entre veine autobiographique intimiste et flirt avec le cinéma de genre. Durant près d’une heure, le cinéaste se confie au micro de Jean-Marc Lalanne, journaliste aux Inrocks, dans l’émission Dans les yeux de… sur Radio Nova. Un témoignage éclairant où, faisant preuve d’une acuité sur lui-même assez remarquable, Arnaud Desplechin se confie sur son rapport à l’image : ses secrets, son importance, sa dimension quasi divine.
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L’importance de l’image et de son étude
À peine l’entretien commencé, Arnaud Desplechin témoigne de l’extrême importance des images et de leur étude dans sa vie. Elle est incarnée notamment par le critique d’art Daniel Arrasse puis par Erwin Panofsky, un des plus éminents représentants de l’iconologie. C’est grâce à eux que le cinéaste comprend la nécessité d’une l’étude des images et de leur signification. « Ça m’a appris après l’école de cinéma à faire une étude approfondie des images. D’étudier la généalogie, des motifs qui se déplacent. Pourquoi ? Comment ? Qu’est-ce que ce tableau veut nous dire? »
Ainsi on apprend que la scène absolument folle dans Les Fantômes d’Ismaël, à la fois hilarante et stupéfiante, où le personnage de Mathieu Almaric relie par des fils les perspectives hollandaises et italiennes de deux tableaux (Les Époux Arnolfini de Van Eyck et L’Annonciation de Fra Angelico) afin d’abolir l’antisémitisme européen, est né d’un rêve « très sérieux » de Desplechin qui se retrouvait à assumer cette lourde responsabilité.
« Je dépiaute un film. Quand on commence un film, on a un corpus. J’établis au début les films qui m’ont inspiré. » Pour nourrir Un conte de Noël, il a ainsi comparé Sarabande de Bergman et La famille Tenenbaum d’Anderson, œuvres pour le moins différentes mais qui tiennent des discours similaires d’après le cinéaste. Pour Les Fantômes d’Ismaël, Arnaud Desplechin s’est « retapé » encore trois ou quatre fois Persona de Bergman qu’il avoue avec le temps commencer à connaitre par cœur. Mais s’il y a bien un film auquel le cinéaste rend hommage, c’est Providence d’Alain Resnais : « Quand je l’ai vu, je ne savais pas qu’un réalisateur français pouvait faire un film aussi beau. »
Le Loup de Wall Street ? : « Je trouve ça indécent »
S’il n’aime pas dire du mal des films. Arnaud Desplechin reconnait qu’un œuvre récente d’un grand metteur en scène, ne l’enthousiasme pas du tout.
« Je vais dire du mal d’un film comme ça je m’en débarrasse : Le Loup de Wall Street, que j’ai adoré à sa sortie et que j’ai revu trois, quatre fois depuis et que, vraiment, je tiens pour un film très faible de Scorsese. Je n’aime pas du tout comment c’est fabriqué, comment c’est filmé, je trouve ça indécent. »
Même la performance de Leonardo DiCaprio dans le film ne l’impressionne pas : « Je suis jamais ému par lui. Il y a un seul film où il m’émeut c’est Shutter Island. Je trouve que c’est un acteur virtuose mais il me laisse de marbre. »
Jeune cinéaste, il raconte la terreur que lui inspirait les comédiens « Les acteurs ça me faisait peur. Ce sont des gens qui parlent fort, qui sont à l’aise avec la vie. J’étais terrifié à l’idée de parler avec un acteur. »
L’amour pour la critique, ces « écrivains de cinéma »
« Quand j’ai commencé à acheter les Cahiers du cinéma pour la première fois – je devais avoir 16 ans – ils parlaient de films que je ne pouvais pas voir car il n’était pas distribué à Lille et avec des mots que je ne comprenais pas. » se confie le cinéaste. Pour Arnaud Desplechin, les conversations autour d’un film injectées par les critiques de cinéma qu’il nomme « écrivains de cinéma » – que ce soit aux Cahiers ou au Masque et la plume – sont primordiales. Selon lui, le cinéma crée un enthousiasme et une division qui relèvent de l’ordre de l’unique, que l’on ne retrouve pas devant un tableau par exemple. À la question : « A-t-il pensé à être critique? » Le cinéaste rétorque que non. Il se disait qu’il serait doué pour apprendre les gestes techniques du cinéma. « Mais écrire des trucs, ça dépasse totalement mes capacités. »
Photographie et souvenirs d’enfance
Grand amateur de photographie, il reconnait pourtant prendre très peu de photos, chose qu’il regrette : « La première photo que j’ai prise, j’avais 11 ans, j’étais en Irlande. C’était deux collines et il m’aura fallu vingt ans pour me rendre compte que c’est une photo d’un sexe féminin. »
Enfin, après avoir relaté ses premiers souvenirs d’images lors de l’enfance – à la télévision avec le western d’espionnage Les mystères de l’ouest et la série britannique des 70’s Amicalement vôtre puis au cinéma avec Alfred Hitchcock – Arnaud Desplechin conclue cet entretien en révélant deux images marquantes de sa cinéphilie, l’une absolue de la peur dans Nuit et Brouillard (1956) d’Alain Resnais et l’autre du désir incarné par la robe transparente de Marylin Monroe dans Certains l’aiment chaud (1959) de Billy Wilder.
L’émission est à retrouver en intégralité ici.
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