Alors que son incontournable fondateur et président avait annoncé qu’il prendrait sa retraite en 2017, le pure player ouvre ses portes à des youtubeurs et donne à voir de nouveaux visages. La succession est-elle imminente ?
“Quand ça sera prêt, ça sera prêt. Les fondateurs ne s’en vont pas.” Sous entendu… pour l’instant. Edwy Plenel, légendaire cofondateur de Mediapart à l’ineffable moustache noire, avait annoncé il y a trois ans qu’il comptait prendre sa retraite à 65 ans, soit en 2017, offrant à ses collègues la garde de ce que certains nomment son “bébé”.
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Un nourrisson plus si jeune – le journal d’information numérique va sur ses 10 ans – et de taille conséquente : rentable depuis 2011, il revendique aujourd’hui “environ 150 000 abonnés”, a dégagé un bénéfice net de 1,9 million d’euros en 2016 – soit 2,6 fois plus que l’année précédente – pour un chiffre d’affaires de 11,4 millions d’euros, en hausse également de 10 %. En clair, le site est peu à peu devenu un véritable mastodonte dans le paysage français de l’information.
Cap de la séparation
“Mediapart va bien”, nous dit pragmatiquement Plenel. Lors de la conférence de presse annuelle du journal, retransmise pour la première fois en live sur Facebook en mars dernier, il annonçait cependant vouloir lui faire prendre un tournant, en provoquant “un effet d’électrochoc interne”. L’objectif ? Précipiter “le passage à un deuxième âge de Mediapart”. “Les fondateurs ne veulent le vendre à personne, ils veulent céder Mediapart à l’équipe de Mediapart, et ils veulent (lui) inventer une indépendance pérenne. Ce passage de témoin, quand il sera prêt, on l’annoncera. Pour l’instant, ça ne l’est pas”, martelait-il.
Ce qui est encore inachevé, c’est “l’invention juridique” qui permettra aux six fondateurs initiaux du site, actionnaires majoritaires de son conséquent capital, de céder leurs parts à la quarantaine de journalistes en CDI et à la trentaine d’autres employés du journal. Pas une simple affaire, d’autant que, paraît-il, le cap de la séparation serait un peu difficile à franchir.
Nouvelle ère
Voilà pourquoi Plenel et ses compagnons de route préparent leur départ comme quelque chose qui se fera naturellement. Le site, lui, évolue en conséquence depuis quelque temps, comme s’il accompagnait cette nouvelle ère à venir du média.
“On a accéléré la partie live, ‘le studio’, qui est vraiment devenu le troisième pilier de Mediapart”, assure ainsi son président, faisant référence au développement accru, depuis novembre 2016 notamment, des émissions tournées et retransmises en direct au sein même de la rédaction, outre le club et le journal.
Nouveaux outils de travail
Autres nouveautés, survenues au début de la campagne électorale : l’arrivée de youtubeurs, des conversations WhatsApp des “Détricoteuses” – duo formé par les historiennes Mathilde Larrère et Laurence De Cock – ou encore le renforcement des enquêtes collaboratives portées par le site avec la mise en place de nouveaux outils de travail en ce sens.
“En soi, Mediapart s’adapte à son temps, ce n’est pas lié à une idée de départ prochain des fondateurs, estime Donatien Huet, journaliste entré à la rédaction en 2016 et responsable des live. Même si notre marque de fabrique reste le texte, on ne peut pas être absent concernant l’offre vidéo, et d’ailleurs, on le fait depuis quelques années.”
Un autre public
L’occasion de toucher un autre public, notamment grâce aux youtubeurs, et ainsi de leur apporter de nouveaux abonnés. “Leurs chroniques vivent en dehors du site, deviennent virales, sont partagées sur Facebook, Twitter, et atteignent un public très large”, se félicite Donatien Huet.
Parmi eux, il y a Usul. Après s’être fait connaître pour sa série de vidéos Mes chers contemporains, il a rejoint Mediapart pour animer L’Air de la campagne, chronique décryptant les clips et les discours des candidats aux élections présidentielle et législatives.
Renouvellement générationnel
Le vidéaste, qui espère poursuivre à la rentrée, apprécie que Mediapart soit “ouvert à la nouveauté”. Et de rappeler que “l’ouverture aux évolutions de la société, à la jeunesse, est une idée de gauche”, soit l’idéologie à laquelle on rattache souvent le pure player, même si ses enquêtes touchent l’ensemble des formations politiques.
Le développement des live – avec, par exemple, le making-of, retour sur les enquêtes de chacun en début d’émission – permet d’amorcer ce renouvellement générationnel, “en mettant en avant les autres journalistes de la rédaction et en donnant ainsi un nouveau visage à Mediapart. Même si Edwy Plenel, et un peu Fabrice Arfi (responsable des enquêtes – ndlr), en sont l’incarnation”, concède Usul. Arfi apparaît d’ailleurs pour beaucoup comme le successeur naturel du moustachu.
Vitrine
Idem du côté des trois youtubeurs d’Osons causer, arrivés également en novembre sur le site. Leurs chroniques sur Macron, le nucléaire ou encore l’évasion fiscale, retransmises pendant Mediapart Live puis diffusées de façon indépendante sur YouTube, Facebook et Twitter, font parfois plus de cinq millions de vues – de quoi offrir une véritable vitrine pour la marque, et vice versa.
Ludo, le jeune homme qui apparaît face caméra dans les vidéos, est ravi de cette collaboration, qu’il aimerait prolonger. “C’est certain que c’est un deuxième âge d’internet qu’aborde Mediapart. Avec nous et les autres, ils commencent une vraie politique de réseaux sociaux. Et si on peut les accompagner à ce niveau-là, ça serait cool !”
D’ici là, les rumeurs récurrentes du passage de relais des fondateurs continueront sans doute. Mais peut-être qu’à l’image du mot d’ordre porté par Mediapart en 2017, “rien ne se passera comme prévu”.
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