La Palme d’or attribuée le 28 mai dernier à « The Square » de Ruben Ostlund ne nous a guère convaincu. Mais le mécontentement face à l’attribution de la Palme est un grand classique. Petite sélection des pires Palmes d’or de Cannes, entre films oubliables et œuvres honorables qui furent élues à la place de chefs-d’œuvre.
Orfeo Negro (1959) de Marcel Camus
On n’a rien contre cette honorable relecture du mythe d’Orphée replacé dans le contexte coloré du carnaval de Rio, mais le jury de cette année-là présidé par l’écrivain Marcel Achard a juste loupé Les 400 coups. Aujourd’hui, tout le monde a oublié Marcel Camus le cinéaste, et tout le monde se souvient de François Truffaut et de l’importance historique de son film, qui a catapulté le cinéma dans son âge moderne.
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« Orfeu negro » de Marcel Camus (Copyright Cinéma Public Films)
La Parole donnée (1962) d’Anselmo Duarte
Qui se souvient aujourd’hui de ce film et de son réalisateur ? Qui l’a vu et revu ? Il faut reconnaitre que le sieur Duarte affrontait une bien faible concurrence avec Cléo de 5 à 7 de la débutante Agnès Varda, L’Eclipse du tâcheron Antonioni, Le Procès de Jeanne d’arc du guignol Robert Bresson, Tempête à Washington du célèbre débiteur de navets Otto Preminger, L’Ange exterminateur du gros nul Luis Bunuel ou encore Divorce à l’italienne du sinistre Pietro Germi. Bref, le jury 62 présidé par Tetsuro Furukaki et comptant parmi ses membres Truffaut, Romain Gary ou Mel ferrer peut s’enorgueillir de la Palme la plus pourrave de l’histoire. A moins que face à l’abondance de grands films et aux dilemmes posés, les jurés n’aient volontairement décidé de se saborder en palmant un film de second choix.
« La Parole donnée » d’Anselmo Duarte (Copyright Films sans Frontières)
Mission (1986) de Roland Joffe
Les doutes coloniaux des Jésuites en mission en Amérique latine mis en scène de façon spectaculaire mais académique par le très oubliable Roland Joffe ont décroché la timbale 86 aux dépends du sobrissime Thérèse d’Alain Cavalier, de l’habité Le Sacrifice d’Andreï Tarkovski, ou encore du polar littéraire Le Lieu du crime d’André Téchiné avec Catherine Deneuve et Danielle Darrieux ou de la comédie d’évasion Down by law de Jim Jarmusch. Sidney Pollack et ses jurés ont privilégié la grosse meringue hollywoodienne aux grands cinéastes et c’est bien dommage.
Pelle le conquérant (1988) de Billie August
Cette année-là, le jury mené par Ettore Scola fut scolaire. Il aurait pu élire Bird, le biopic de Charlie Parker par Clint Eastwood, ou Tu ne Tueras point, la fable morale au scalpel de Kieslowki, mais il a préféré le pensum scandinave que Libé, toujours facétieux, avait appelé Pelle le con qu’errait. C’était la première Palme du Danois Billie August (il a récidivé en 92 avec le bergmanien Les Meilleures intentions), celui qui fait un peu tâche dans la confrérie des double palmés (Coppola, Haneke, Kusturica…).
L’Éternité et un jour (1998) de Théo Angelopoulos
Cette Palme rivalise dans l’erreur de tir avec celle de Duarte en 62. Il est vrai que l’ampoulé Angelopoulos a plus marqué les cinéphiles, mais pas toujours en bien. En ce qui nous concerne, ce film nous a en effet semblé durer une éternité d’ennui pesant et d’auteurisme sentencieux. La team de Scorsese aurait pu choisir le chamanique Les Fleurs de Shanghaï de Hou Hsiao-hsien, le puissant The Hole de Tsai Ming-liang, le transgressif Les Idiots de Lars von Trier voire Festen, la comédie familiale grinçante de Thomas Vinterberg (ces deux derniers réunis sous le concept danois fumeux du Dogme). Mais peut-être Marty voyait-il le cinéma européen d’auteur comme une suite de plans-séquences solennels faisant exploser le chiantomètre ? Quand on pense qu’Angelopoulos avait fait la gueule lors de sa précédente présence à Cannes et au palmarès parce que son Regard d’Ulysse n’avait décroché « que » le Grand Prix, on se dit qu’il a obtenu là une Palme à la longévité, à l’obstination et à l’usure. Pas terrible, Marty.
La Chambre du fils (2001) de Nanni Moretti
On entend déjà les protestations furibardes : quoi, le grand Moretti parmi les pires palmes ?!? Mais portnawak les Inrocks!!! On se calme, ou on se palme comme dirait Libé : La Chambre du fils est un beau mélodrame sec, on est d’accord, sauf que cette année-là, les concurrents s’appelaient Va Savoir, un des meilleurs de Jacques Rivette, Millenium mambo, une splendeur pop-techno de Hou Hsiao-hsien, et surtout, et surtout, et surtout… Mulholland drive. Ben oui, allo quoi! Bref, Liv Ullmann et son équipe ont un peu loupé le film des années 2000 qui s’est contenté du prix de la mise en scène. Au final, La Chambre du fils est symptomatique des Palmes décalées ou de rattrapage : Nanni aurait du avoir l’or pour Journal Intime alors que La Chambre du fils avait plutôt le profil d’un prix du jury, du scénar ou de la mise en scène (comment faire pleurer sans inonder l’écran de sentimentalisme). Mais le jury s’est sans doute dit qu’il fallait palmer Nanni, alors que Lynch l’avait déjà été (pour Sailor et Lula qui était inférieur à Mulholland). Bref, en matière de Palme, mieux vaut appliquer une politique des films que des auteurs.
Farenheit 9/11 (2004) de Michael Moore
Bon, on aime l’interventionnisme politique de Michael Moore surtout dans un pays, les Etats-Unis, où la gauche pèse si peu. Il est juste dommage qu’il obtienne le plus haut prix étalonnant l’excellence cinématographique pour son film le plus simpliste et manichéen. D’autant qu’en 2004, le jury de Quentin Tarantino, soupçonnable de copinage Weinstein Bros, avait devant ses yeux le sorcier Tropical malady d’Apichatpong Weerasethakul, la radicalité formaliste du 2046 de Wong Kar-wai (qui n’a jamais eu la Palme, chercher l’erreur!) ou le délicat La Femme est l’avenir de l’homme de Hong Sangsoo, bref, trois grands cinéastes asiatiques infiniment supérieurs cinématographiquement à l’ami Michael. Mais l’idéologie et le copinage américano-miramaxien ont primé sur le cinéma.
Moi, Daniel Blake (2016) de Ken Loach
Ce film a fait pleurer beaucoup de spectateurs mais nous a laissé froids, nous les critiques qui n’avons pas de coeur. Disons que nous n’aimons pas trop les grosses ficelles tire-larmes. Disons surtout qu’il ne nous semblait pas indispensable d’offrir une seconde Palme d’or à Ken Loach pour un film qui n’apportait strictement rien de neuf à son cinéma et au cinéma en général particulièrement lors d’une édition où se bousculaient les films stimulants comme Elle de Paul Verhoeven, Toni Erdman de Maren Ade, Aquarius de Kleber Mendonça, Rester vertical d’Alain Guiraudie, Baccalauréat de Cristian Mungiu ou Julieta de Pedro Almodovar. Avec tout le respect qu’on leur doit, Georges Miller et ses jurés ont bien déconné. Que Ken Loach orne la vitrine de son salon de deux Palmes alors que Pedro Almodovar ou Paul Verhoeven sont à poil, c’est l’une des injustices flagrantes de l’histoire des Palmes et du festival.
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