Retour à Westeros. Cette chronique à combustion lente de la dynastie Targaryen, 172 ans avant Daenerys, met en scène une jeune héroïne en majesté. Subtil et émouvant.
Il aura fallu un peu plus de trois ans à HBO pour sortir de terre la suite de Game of Thrones, succès mondial aux proportions folles, que beaucoup voyaient comme la dernière série capable de susciter des conversations mondiales sans passer par la case streaming. Or, depuis, HBO est largement devenue une plateforme, sans perdre de son aura, mais en laissant une part son identité historique derrière elle. Et House of the Dragon n’est pas une suite, plutôt un préquel, c’est-à-dire une histoire des origines située 172 ans avant l’action de sa grande sœur et consacrée aux luttes internes et externes de la famille Targaryen. Une dynastie dont le déclin s’est avéré inéluctable, que l’on connaissait avant tout à travers Daenerys, la dompteuse de dragons immune au feu.
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L’une des images les plus marquantes des premiers épisodes – nous avons pu en voir six sur les dix que compte la saison – montre un rat qui vient humer une mare de sang, lors d’une fête de mariage qui a évidemment mal tourné. Ce rat réapparaît deux épisodes plus tard dans les appartements du roi Viserys, un homme que l’on a vu achever à la dague, avec beaucoup de difficultés, un cerf attaché devant lui par ses laquais. Voici un piètre combattant que la violence du monde dépasse un peu, ce qui ne manque pas de sel dans l’univers créé par George R.R. Martin, co-créateur de la série en compagnie du showrunner Ryan Condal – alors que ce n’était pas le cas pour Game of Thrones. Paddy Considine (vu dans Peaky Blinders) incarne avec une belle mélancolie ce souverain, qui sait que le ver est dans le fruit, que la mort et la pourriture l’emporteront – il tombe d’ailleurs assez vite malade – et tente de rester debout en sortant le moins possible de chez lui.
Haro sur les batailles
La série se déploie à son rythme de sénateur, celui d’un cérébral plus à l’aise dans les joutes verbales que dans le déchaînement de violence. Et si le premier épisode de House of The Dragon offre son lot syndical de stupre et de sang, ce qui frappe avant tout se joue dans l’absence presque totale de grandes batailles rangées et de roulements de tambours avant que ne giclent les têtes coupées. Cela arrive toujours un peu, mais pour l’instant, à peu près rien ne dit que le cœur du récit se trouverait là. Un peu comme si les épisodes de transition de Game of Thrones étaient devenus une série, les mots font le plus mal, parfois les poings, plus rarement les lames. L’une des scènes les plus violentes des premiers épisodes se joue entre gamins, avec des épées de bois. Ce signal envoyé aux spectateur·trices de 2022 ressemble presque à une provocation, comme si House of The Dragon voulait à la fois profiter des acquis de sa devancière et montrer qu’une autre manière de raconter le même genre d’histoires reste possible. Tel est le paradoxe : nous sommes à la fois à la maison, prêt·es à chausser nos pantoufles face à un ton et des couleurs reconnaissables immédiatement, et devant une fiction à combustion lente qui tente de nous apprendre la frustration. Bon courage à elle dans l’essoreuse géante des séries événementielles. Le 2 septembre surgira d’ailleurs sa plus grande rivale théorique, l’adaptation du Seigneur des anneaux, mise en ligne par Amazon.
Patience et longueur de temps
La singularité de House of The Dragon peut déplaire si elle est interprétée comme une forme de timidité, mais pour tout dire, elle nous plaît. Ici, les personnages ont l’occasion de se tromper, de revenir sur leurs erreurs, d’en payer le prix sans se retrouver assassinés – enfin, presque. La manière dont Ryan Condal conduit le récit, en utilisant d’imposantes ellipses, suggère que le romanesque se jouera moins dans les événements forcément dramatiques que dans les subtils outrages du temps qui détruit tout. Le sursis, pour les Targaryen, reste permanent. Mais dans House of The Dragon, il est jusqu’à présent plus dangereux d’accoucher – belles scènes ponctuant les premiers épisodes – que de partir à la guerre. Les femmes doivent enfanter, mais elles désirent le pouvoir : ce suspense-là vaut déjà beaucoup. Quelques marqueurs de la série originale – l’inceste, notamment – sont présents, sans le sous-texte d’exploitation qui pouvait parfois gêner dans Game of Thrones.
Une princesse héritière ?
Héritière annoncée du trône, Rhaenyra Targaryen (jouée dans les cinq premiers épisodes par l’impressionnante Milly Alcock) occupe le devant de la scène avec force et mène avec Paddy Considine la danse d’un casting franchement réussi. L’excellent Matt Smith (Doctor Who, The Crown) joue un Prince Daemon Targaryen féroce comme une rockstar déchue, Rhys Ifans (formidable en roommate de Hugh Grant dans Notting Hill, en 1999) marque les esprits dans le rôle du conseiller problématique de Viserys et, à leur suite, toute une clique de jeunes comédien·nes – Emma d’Arcy, Fabien Frankel, Emily Carey notamment – se lance à corps perdus dans la lutte pour exister. Car House of The Dragon ne raconte que la fragilité de ses personnages – qui est aussi la sienne – et cela en fait une série émouvante au-delà de ce qu’on attendait.
Il lui manque sans doute une part de poésie lovecraftienne – de H.P. Lovecraft, grand auteur de science-fiction rêveuse auquel on pense parfois – et une manière de hisser la mise en scène à la hauteur de ses ambitions. Cela viendra peut-être. Cela vient déjà par bribes. Dans quelques moments saisissants, House of The Dragon sait filmer le feu, au sens propre mais aussi figuré, celui qui brûle les Targaryen de l’intérieur. Combien de temps les braises resteront-elles allumées ? On le saura bientôt, si les audiences suivent.
House of The Dragon, saison 1, sur OCS.
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