« Tout me fait rire », son nouvel album n’est pas un ouvrage humoristique, loin de là, mais un superbe objet hors des cadres.
« C’est une phrase que se faisaient tatouer les anarchistes sur le torse. Ça fait un beau contre-point avec le côté assez dépressif de l’album. » Autant le dire tout de suite, le dernier album de L.O.A.S., Tout me fait rire, n’est pas drôle du tout. Même la pochette, qui le représente souriant, un trou dans l’œil et une balle de gros calibre portée comme un bijou autour du coup, est à double sens.
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« J’ai bossé avec Fifou, le boss des covers de rap français. C’est une référence à un de mes amis qui a été assassiné d’une balle dans la tête. Beaucoup de gens y ont vu une dimension politique liée à tous les récents événements qu’on a connu : se faire éborgner par un flashball, se prendre une balle dans un attentat… On prend un élément destructeur, on en fait quelque chose de beau, ça colle à ma démarche musicale. Il y a un côté obscène. »
A ne pas confondre avec Hyacinthe
L’obscénité chez L.O.A.S. est rarement gratuite, toujours réfléchie. A tel point que l’on pourrait qualifier l’album de très noir. Le début surtout. Le rappeur l’explique en concept : « C’est noir, mais ça raconte un cheminement, une direction vers la lumière que je veux positive et constructive. Si j’étais resté dans la logique du premier album, je me serais tiré une balle dans la tête. » Le premier album, justement, N.D.M.A., est certainement plus fataliste, plus dans le constat et dans le cynisme.
Difficile de ne pas évoquer son grand pote durant l’interview. Lorsque Hyacinthe et lui se rencontrent, le premier bosse déjà avec le beatmaker Krampf. A eux trois, ils forment ensuite le collectif DFHDGB, pour Des Faux Hipsters et Des Grosses Bites. Des sorties communes et pas mal de lives plus tard, les voilà proclamés fers de lance de leur propre délire, que certains ont, un peu par flemme, comparé à Odezenne.
« On nous confond souvent avec Hyacinthe, on nous prend pour l’un ou pour l’autre. On a aussi cru voir en moi des qualités de Hyacinthe et inversement. On s’est fait connaître ensemble, ça sous-entend pour beaucoup qu’il y aura des suites à notre collaboration. Si tu me poses des questions que tu devrais poser à Hyacinthe, ouais, c’est relou. Mais sinon, non. On est un peu comme une famille, donc il y a toujours l’autre quelque part de toute façon. »
Concernant Odezenne, l’équipe de DFHDGB est bien plus traditionaliste, moins dans la parodie. Plus rap en fait.
« Se révolter, c’est comme tomber amoureux »
Pourtant, le collectif s’entoure en grande partie de personnes n’évoluant pas forcément dans le rap. C’est aussi ce qui fait la richesse de Tout me fait rire, de ses prods et de ses thèmes. Comme sur VLV, une véritable ode à la révolte.
« Je me considère comme anarchiste chrétien. Je ne comprends pas que ce soit les gens de droite qui se revendiquent chrétiens alors que ce sont des pourritures conservatrices. Je crois qu’il n’y avait pas plus anarchiste que le Christ. Il voulait renverser l’ordre, jeter les marchands hors du Temple… » VLV est cash, chose rare dans le rap, qui curieusement, a de plus en plus de mal à se politiser. « Je crois qu’il y a une vraie possibilité de traverser la dépression ambiante via la révolte. Se révolter, c’est comme tomber amoureux. Tu crées un déséquilibre entre un état stable et un autre, tu fais une rupture. Ça participe d’un même mouvement. »
Si L.O.A.S. parvient aujourd’hui à avoir une belle cohérence artistique, réussit à se définir instantanément, c’est aussi parce qu’il s’est longtemps cherché. « J’ai commencé le rap à la naissance de mon fils, en 2012. J’étais qué-blo dans le sud de la France chez moi, j’écrivais tout le temps, je bossais comme un débile dans mon coin. Je suis quelqu’un qui bouge beaucoup, cette inaction, je l’ai transformée en écriture, en collaborations, puis en projets. J’ai aussi pas mal vécu en Inde, j’étais dans une démarche spirituelle. »
Voilà pourquoi l’humour de L.O.A.S. n’en est pas vraiment un. « J’essaie toujours de mettre des pointes d’humour, mais le rap qui est fait pour faire rire, le rap potache, ça ne me parle pas. C’est bien que ça existe, mais faire la fausse caillera pour faire rire les gens, sans moi. J’aime beaucoup les Svinkels, il y avait beaucoup d’humour dans ce qu’ils faisaient, mais ça n’était pas si drôle que ça. Ils faisaient de la musique et il y avait de l’humour dedans, c’est très différent. Tout me fait rire, c’est le rire qui permet de se détacher des choses, de la réalité. C’est un état que je cherche à atteindre. C’est le détachement ultime. »
Le spectre de Zoo Project
Tout ne l’a pourtant pas fait rire. En 2013, le street artist Zoo Project, Bilal Berreni, est assassiné à Detroit par des dealers, à l’âge de 23 ans. Son corps ne sera identifié qu’en mars 2014. Une sale histoire. L.O.A.S. et lui étaient proches, il lui dédicace notamment le titre Vieux Frère, en duo avec Hyacinthe.
« C’était un mec dont je voyais le travail partout sur les murs de Paris. Pendant des mois et des mois, je voulais le rencontrer. Je parlais tout le temps de lui à tout le monde. En 2009, j’ai pécho une meuf dans une soirée, on se réveille le matin, évidemment, je lui parle de Zoo Project, et elle me dit qu’elle connaît un mec qui connaît un mec qui le connaît. On a grave accroché, c’était avant qu’il explose. Je lui ai fait lire pas mal de trucs, il cherchait des histoires, on échangeait beaucoup. C’était très fraternel. J’ai même un bouquin qu’il a écrit sur mon ordi et qui n’est jamais sorti. C’était aussi quelqu’un de très sanguin, on a eu pas mal d’altercations dans nos virées nocturnes avec d’autres personnes. Quand tu décides de vivre en dehors des cadres, tu rencontres des gens qui n’ont pas des comportements très cordiaux. On a été amenés à nous défendre. Il s’est fait agresser à Detroit, ils lui ont volé son argent. Il a dû réagir, sauf qu’ils étaient armés en face. » D’où la pochette, d’où l’idée de pouvoir en rire.
L.O.A.S. est plutôt radical dans sa manière de voir les choses. Lorsqu’on lui demande si Hyacinthe et lui se considèrent comme faisant partie d’une scène musicale définie, il répond par la négative, et ajoute : « Il y a trop de Blancs dans le rap. C’est mon petit racisme à moi. Toutes les maisons de disque veulent leur rappeur blanc. Je ne sais pas si c’est légitime ou si c’est un effet de mode. C’est positif, ça amène de la diversité. Mais il ne faut pas que ça devienne dominant. Si demain il n’y a plus que des Blancs qui font un rap « différent », ça va devenir chiant. » Pour l’instant, il y a L.O.A.S., et c’est déjà assez à digérer. Dans le bon sens du terme.
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