Avec Loïc Corbery de la Comédie-Française dans le rôle titre, Simon Delétang nous entraine avec brio dans une triple évocation d’“Hamlet”, où l’amour tient la dragée haute à la mort annoncée.
En organisant un triple hommage au plus illustre des héros shakespeariens, Simon Delétang, metteur en scène et directeur du théâtre du Peuple, commence par réparer une injustice. Alors qu’on fête le 127e anniversaire de la création du lieu par le dramaturge et poète Maurice Pottecher (1867-1960), l’institution vosgienne n’avait jusqu’à présent jamais inscrit Hamlet à l’affiche de son fameux théâtre de bois. Cela faisait deux ans que le projet était repoussé pour cause de pandémie. Mais force est de constater que l’attente a parfois du bon, car elle se traduit par un carton sans précédent et un public retrouvant le chemin d’une salle où l’on joue à guichets fermés.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
S’agissant de réaliser un portrait d’Hamlet en trois temps, Simon Delétang réserve le classique de Shakespeare à la représentation de l’après-midi, avant de compléter son tableau en soirée par la vision déconstruite qu’en donne le dramaturge est-allemand Heiner Müller (1929-1995) dans sa pièce Hamlet-Machine. Le choix d’offrir le rôle titre à Loïc Corbery de la Comédie-Française permet d’ajouter un troisième volet à cette programmation avec la reprise de (hamlet, à part), spectacle créé au Studio-Théâtre en 2019, où le comédien questionne son rapport au rôle en convoquant Baudelaire et Bergman tout autant que Vilar et Voltaire.
Une soirée qui bascule dans l’onirisme
C’est en s’inspirant de la scénographie conçue par Yánnis Kókkos pour la création d’Hamlet par Antoine Vitez en 1983 que Simon Delétang se prévaut d’une autre corde à son arc, en immergeant sa mise en scène dans la mémoire d’une histoire du théâtre contemporain. Cernée de grands blocs blancs qui bornent la perspective d’une rue, la scène devient avec Kókkos un espace abstrait, une machine à jouer dédiée aux acteurs et actrices. Accompagnant les apparitions du Spectre, une louve traverse le plateau pour témoigner de la sauvagerie à l’œuvre dans la pièce. Quand arrive l’heure de la fameuse réplique “Être ou ne pas être”, c’est un crâne géant qui vient boucher la perspective. Hamlet a la charge de venger un père assassiné par un oncle devenu le mari de sa mère… Avec sa silhouette d’adolescent, Loïc Corbery compose un prince d’Elseneur capable de faire rire autant que d’aimer Ophélie (Georgia Scalliet) avec laquelle il échange de fougueux baisers. Les pulsions de ce désir de vivre, palpable à chaque instant, rendent alors d’autant plus tragique l’issue d’une intrigue à laquelle personne ne survit.
Ayant choisi de monter Hamlet-Machine avec les mêmes interprètes, Simon Delétang sous-tend le fait qu’il leur redonne vie au cœur d’un purgatoire se déployant dans les neuf pages hallucinées par lesquelles Heiner Müller condense et revisite le propos de Shakespeare. La belle perspective n’est plus qu’un chaos et le jeu sur le plateau questionne le théâtre du côté de la performance. Avec Simon Delétang, la soirée bascule dans l’onirisme. Auteur réputé cannibale, Heiner Müller n’aura pas la peau de ses personnages, et l’amour entre Hamlet et Ophélie résiste à l’épreuve d’une mort décidée par Shakespeare. Sous les raies de lumière d’un crâne transformé en boule à facettes, les amants s’enlacent et défient au final l’éternité sur Within, le slow délicieusement nostalgique des Daft Punk. Une réponse à l’une des interrogations de la fameuse tirade du crâne, “Car quels rêves peut-il nous venir dans ce sommeil de la mort, quand nous sommes débarrassés du tumulte de cette vie ?”.
Dans le cadre de la saison d’été du théâtre du Peuple, du jeudi au dimanche jusqu’au 3 septembre, à Bussang, Vosges.
Hamlet de William Shakespeare, mise en scène Simon Delétang avec Loïc Corbery de la Comédie-Française, Fabrice Lebert, Georgia Scalliet, Stéphanie Schwartzbrod et la troupe des comédiens amateurs du théâtre du Peuple, à 15h.
Hamlet-Machine de Heiner Müller, mise en scène Simon Delétang avec Loïc Corbery de la Comédie-Française, Fabrice Lebert, Georgia Scalliet, Stéphanie Schwartzbrod et la troupe des comédiens amateurs du Théâtre du Peuple, à 20h.
(hamlet, à part) d’après William Shakespeare et d’autres textes, conception et interprétation Loïc Corbery de la Comédie-Française, à 12h, les 21, 28 août et 3 septembre.
{"type":"Banniere-Basse"}