C’est une première exposition personnelle en France pour le Ghanéen. Une contre-institution autonome d’éléments recyclés et tissus pour penser l’histoire de son pays depuis son indépendance.
Au fronton du Frac des Pays de la Loire flottent au vent des drapeaux. Cousus à partir de sacs de jute, ils portent les stigmates de leur fonctionnalité. Usés par le transport de denrées périssables, le cacao, puis de matières premières, le charbon.
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Leur qualité épidermique est augmentée par les corps qui, à l’ouvrage, y imprimèrent les marques du labeur. Leur position liminale est un signal tout autant qu’une œuvre autonome : elle rejoue en le déplaçant le geste le plus connu de l’artiste qui, au sein de l’espace, présente une nouvelle partie de son travail.
Système de référence
D’Ibrahim Mahama, artiste ghanéen à la carrière stellaire, on connaissait le geste consistant, à partir de toile de jute, à envelopper les bâtiments publics (en 2019, à Milan, via la Fondazione Nicola Trussardi) ou à réorienter la circulation en leur sein (la même année, pour le pavillon ghanéen à la Biennale de Venise).
Sa première exposition personnelle en France prend cependant le parti d’ouvrir à un prolongement récent de son travail. Par des formes et systèmes nouveaux, il en va d’un élargissement de ses thématiques électives : la circulation globalisée des corps, biens et capitaux, telle qu’ancrée au plus près de l’histoire matérielle de la postindépendance des années 1960 au Ghana.
Depuis dix ans, encore étudiant en peinture, l’artiste collecte, à Tamale, les témoignages des architectures coloniales et des architectures qui, à l’indépendance, se réapproprièrent en les étendant les infrastructures existantes. Ces fenêtres, portes et chaises auraient pu en soi constituer le témoignage d’une époque ambiguë, infusée des espoirs d’autosuffisance et des embûches entravant leur réalisation. À Nantes cependant, ces trois éléments sont complexifiés par l’imbrication d’un autre système de référence : chacun encadre et supporte une partie en wax, sous la forme d’une toile tendue ou d’une assise.
Un espace autonome
Si l’on retrouve l’attention que porte l’artiste aux systèmes de valeur, venant punaiser sur les tissus les indications de leur provenance – leur cote étant fixée selon leur fabrication en Chine, au Togo ou en Hollande –, il s’agit ici encore d’autre chose. À savoir la reconduction d’un geste de peindre, venant d’abord tendre la toile brute, au sein d’une réflexion sur le contexte de l’institution.
Ici, c’est alors un système dynamique qui se déploie et, à son tour, s’autodéfinit. Car si la valeur d’usage contextuelle des matériaux est apparente, leur devenir-œuvre les enchâsse dans le système de valuation propre au monde de l’art, en même temps que l’ensemble ouvre un espace autonome : une architecture-institution miniature, portable et manipulable.
Ce qui se montre se retire simultanément. Les deux paradigmes du moment, l’archive et la critique institutionnelle, sont indiciellement présents tout en étant efficacement subvertis pour que le geste n’appartienne à aucun, échappant au déterminisme de la tradition comme au lyrisme des évocations. Sans amnésie ni ressentiment, s’avancent alors des utopies concrètes, opérantes et désirantes.
The Memory of Loved’Ibrahim Mahama, jusqu’au 2 octobre, Frac des Pays de la Loire, Nantes.
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