Défenseur d’un vestiaire pratique et démocratique, le fabricant de vêtements novateurs, connu pour ses plissés, s’est éteint à l’âge de 84 ans le 5 août dernier.
“Je ne crée pas une esthétique à la mode… Je crée un style qui repose sur la vie”, expliquait Issey Miyake en août 1998 dans une interview donnée au conservateur Hervé Chandès. Quelques mois plus tard, celui qui se définissait tel un “fabricant de vêtements” se retirait de la direction de sa marque fondée à Tokyo en 1970, pour se consacrer à la recherche et se transformer en “laboratoire”, comme il l’expliquait alors aux Inrocks.
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Animé par la volonté d’habiller tout type de corps, plutôt que de produire des artefacts figés destinés aux vitrines des musées, il s’est éteint “dans la soirée du 5 août ”, rapporte l’AFP.
Pendant cinq décennies, il proposa une recherche textile au plus proche de l’humain, à rebours de la haute couture – par nature anti-démocratique – et de la “mode”, nourrie par l’obsolescence programmée. Son vestiaire se distingue par ses couleurs vives, un design inspiré de l’origami, des jupes et pantalons plissés permettant la liberté du mouvement. Habillant aussi bien le fondateur d’Apple, Steve Jobs, de pulls cols roulés noirs, que les danseurs du chorégraphe William Forsythe en costumes plissés accompagnant leurs mouvements, à l’heure des hommage, Issey Miyake laisse le souvenir d’un grand humaniste de la mode, tel que l’écrit le critique Tim Blanks pour Business of Fashion.
De la haute couture vers le prêt-à-porter : la scène parisienne au tournant des années 1970
À peine diplômé de l’université des beaux-arts de Tama, à Tokyo, Issey Miyake s’installe à Paris en 1965 où il suit une formation couture des plus académiques. Après les bancs de l’École de la chambre syndicale de la couture parisienne, il façonne sa pratique dans les ateliers de Guy Laroche et Hubert de Givenchy, où il fréquente les petites mains formées chez Cristóbal Balenciaga.
Pourtant, il quitte la capitale de la haute couture, direction New York, avec la ferme intention de concrétiser son idée d’un vestiaire adapté au quotidien : “Issey Miyake était précurseur et avait compris que Paris n’était plus le centre de la mode à même d’offrir la portée industrielle qu’il souhaitait afin de moderniser et développer l’artisanat”, explique Alexandre Samson, chargé des collections haute couture et de la création contemporaine au Palais Galliera.
Il reviendra à Paris en 1973, alors que Didier Grumbach met sur pied le groupe Créateurs et Industriels pour stimuler la création en France. Il est alors le premier créateur japonais à présenter ses collections en Europe, suivie par Yohji Yamamoto et Rei Kawakubo (de la marque Comme des Garçons). Décrit comme nouvelle “avant-garde critique” par l’historienne de la mode Caroline Evans, le trio se distingue par sa connaissance et sa déconstruction simultanée des codes de la couture occidentale, mais aussi par l’invention de vêtements au service du corps. “Dans les années 80, les créateurs de mode japonais ont apporté un nouveau type de créativité ; ils ont apporté quelque chose que l’Europe n’avait pas. Il y a eu un peu un effet de choc, mais cela a probablement aidé les Européens à s’éveiller à de nouvelles valeurs”, commentera Issey Miyake lui-même dans le Women’s Wear Daily en 1996.
Une nouvelle approche articulant innovation et artisanat
Utilisation de silicone, gaze de lin pour moustiquaire et polyester ultra léger : Issey Miyake ne cesse d’expérimenter en intégrant des matières inédites pour l’époque, tout en valorisant des techniques traditionnelles japonaises, modernisées à l’aide de procédés industriels. En 1976, il présente A Piece of Clothes – qui deviendra le label APOC en 1999, une collection futuriste composée d’un simple carré avec manche, soit une étoffe qui devient vêtement une fois habité par le corps. Son objectif était de minimiser les gaspillages. En 1993, c’est la ligne Pleats Please qui marquera les esprits avec ses vêtements confortables, sans fermeture ou bouton, pensés pour un corps en constante métamorphose.
“Plus que quiconque, il a compris qu’il n’y a pas de révolution dans la mode sans des innovations techniques et une étude des matières. C’est aussi à travers une observation quasi anthropologique des techniques d’habillement locales, toujours créditées dans ses collections, que son travail s’enrichit – que ce soit la Mongolie ou les régions des Hauts Plateaux en Afrique”, commente Alexandre Samson.
Une vision humaniste
En plus d’une leçon sur l’ingénierie textile, articulée à une mise en avant des artisanats, il lègue à la mode une approche inclusive, comme le souligne Alexandre Samson : “Quand on se plonge dans les archives, on constate que, dès la fin des années 1970, ses campagnes sont composées de femmes de tous âges et de toutes morphologies. En 1976, il organisait un défilé spécial au Japon (Osaka et Tokyo) intitulé Issey Miyake and Twelve Black Girls avec Grace Jones au casting, qui participa à la popularité de ses créations”, explique-t-il avant de conclure : “Il avait compris que la grande contemporanéité du vêtement, c’est celui qui permet la liberté.”
En 2022, ses silhouettes légères et flottantes se devinent chez Craig Green ou dans les jeux de matières de Jonathan Anderson. Quant à sa maison, elle continue de vivre sous la direction de Satoshi Kondo, qui présentait en mars dernier une collection féminine dédiée à la mobilité et inspirée de la nature, composée d’une série de pièces nommée Rhizome – soit ce qui désigne une structure évoluant en permanence et dénuée de hiérarchies dans la philosophie de Gilles Deleuze et Félix Guattari. L’expérimentation continue.
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