Après une annulation en 2020 et une collection 2021 classée “hors-série”, le rendez-vous malouin regagnera le Fort de Saint-Père du 17 au 20 août, pour une trentième édition flanquée d’une programmation qui regarde droit devant. Rencontre avec François Floret et Alban Coutoux, respectivement directeur et directeur artistique du festival indie-rock.
C’est promis, juré, gravé dans le marbre : la chenille fera son retour cette année au Fort de Saint-Père, comme pour fêter en fanfare le retour de la Route du Rock dans son écrin d’origine, trois ans après sa dernière collection été tenue en bonne et due forme en 2019. On nous promet même une bière spéciale, brassée localement et baptisée l’Indie Way.
Le festival indé malouin jouera donc sa 30e édition du 17 au 20 août, avec une programmation sans fausse note, amputée au dernier moment des Australiens de King Gizzard & the Lizard Wizard (à l’heure de publier ce papier, on ne connaît pas encore le nom du remplaçant), au générique de laquelle on retrouve, notamment, la jeune garde post-punk made in UK, de Working Men’s Club à Yard Act, en passant par Baxter Dury, le presque-résident Ty Segall, la tête d’affiche précoce Wet Leg, ou encore DIIV, Wu-Lu et Aldous Harding. Rencontre avec François Floret, directeur du festival, et Alban Coutoux, directeur artistique, pour évoquer l’histoire du festival, son futur et les enjeux nouveaux qui l’attendent.
La Route du Rock fêtera cette année sa 30e édition. Bon anniversaire ?
François Floret — On n’avait pas numéroté l’édition de l’année dernière, que l’on considère comme une parenthèse, une sorte de collection capsule, même s’il y avait la patte Route du Rock et que les gens se sont éclatés. En 2019, on s’est arrêté à #29, aujourd’hui on revient sur le site historique du Fort Saint-Père, on a donc rajouté +1 de façon logique. Mais on n’est pas du genre à fêter les anniversaires.
Le festival existe depuis 1991, c’est malgré tout l’occasion de mesurer le chemin parcouru.
FF — Je ne m’attendais pas à faire partie des fossiles de l’équipe, c’est certain. Ça fait vieux combattant, mais, quand en 1991, on lance la première édition de la Route du Rock hiver à la Maison des associations, c’est parce qu’on voulait aller plus loin que les petits concerts que l’on organisait jusque-là à Rennes. Il n’y avait pas de plan non plus, on était dans l’urgence de l’immédiateté. Et puis 92 est arrivé, 93 et on s’est dit : “Pourquoi ne pas voir plus grand ?” On venait de faire jouer Radiohead devant 100 personnes et Bernard Lenoir nous appelle pour nous dire qu’il veut nous soutenir et devenir notre parrain. Il a vu qu’on se dirigeait vers l’organisation d’un festival indé. Il est venu à Cancale chez notre président, Ludovic Renoult et, après un week-end passé ensemble, on a décidé de lancer une édition été. Lenoir voulait enregistrer les concerts et les diffuser sur Inter le reste de l’année. En 94, il y avait un soir, puis deux en 95 et trois en 96, la formule définitive. C’est l’année charnière. Les conférences, les expos, c’est venu plus tard, en 2002.
Il y a une constance dans la programmation de l’événement. L’envie de documenter les scènes indie-rock a toujours été une évidence pour vous ?
Alban Coutoux — Ça a toujours été une évidence. Mais on n’est pas non plus focalisé sur le passé ou nostalgique. Sur l’édition 2022, sur la trentaine de groupes programmés, 25 n’ont jamais joué à la Route du Rock et une quinzaine d’artistes ont sorti ou vont sortir un premier album. Il y a une volonté de rester pertinent avec l’époque. Bien sûr, on a fait jouer des mythes du rock indé, comme Sonic Youth, My Bloody Valentine, Jesus and Mary Chain, Slowdive, The Cure, ou encore Nick Cave, mais justement parce qu’ils s’inscrivent dans une filiation évidente. Quand tu vois le succès des scènes shoegaze depuis 10 ans, ça fait sens de faire cohabiter sur une même affiche ces différentes époques.
FF — On s’est toujours efforcé d’éviter de faire une tête d’affiche pour faire une tête d’affiche. Il faut que la ligne artistique soit claire, sans compromis, mais sans devenir non plus des intégristes.
“Notre esthétique, aujourd’hui comme il y a trente ans, n’a jamais été dominante dans le paysage français (…). À quelques exceptions près, on s’adresse surtout à un public de curieux”
Le business de l’indie-rock est fragile, autant pour des festivals tel que la Route du Rock que pour les médias qui s’en font l’écho.
FF — Les ventes, cette année, sont très timides. La période post-Covid est très bizarre pour ça, tous les festivals sont à la même enseigne. Mais on a une difficulté supplémentaire, celle de défendre une ligne artistique spécifique. C’est la double peine. Heureusement qu’il y a des aides publiques, notamment. Le ministère, les collectivités locales doivent continuer à aider des initiatives comme la nôtre et à défendre des choix qui ne répondent pas systématiquement au marché.
AC — Notre esthétique, aujourd’hui comme il y a trente ans, n’a jamais été dominante dans le paysage français, en opposition à certains pays comme la Scandinavie, où les groupes ont beaucoup plus de succès. En France, ça reste assez confidentiel. Et je ne parle même pas de l’Angleterre. Ce n’est pas un fait nouveau : à quelques exceptions près, comme les Arctic Monkeys ou Radiohead, on s’adresse surtout à un public de curieux.
FF — En Angleterre, c’est guitare et foot. C’est très différent en France.
Comment on travaille sur le line-up d’un festival après la période de restrictions que l’on vient de connaître ?
AC — Les annulations de 2020 ont été un traumatisme pour tout le monde. De notre côté, on a préféré ne pas proposer de report. On ne savait pas si une édition 2021 aurait lieu et, l’intérêt du festival étant de coller à une certaine actualité et de rester à l’affût, ça n’aurait eu aucun sens. On ne se voyait pas refaire deux ans plus tard la même affiche, mais on ne s’interdisait rien non plus. On a commencé à travailler l’édition 2022 au printemps 2021, de manière assez classique. D’autant qu’il y avait une profusion de groupes et plein d’albums de qualité. Au niveau de l’offre artistique, il n’y avait pas de quoi se plaindre. Après, c’est toujours la même problématique, il y a une forte concurrence. Les groupes excitants, tout le monde les veut.
FF — La nouveauté, c’est que les esthétiques que l’on était à peu près seul à défendre il y a quelques années, intéressent aujourd’hui des festivals plus massifs et plus mainstream. On se retrouve parfois dépouillés d’artistes qui pourraient être déterminants pour nous, qui se retrouvent ensuite dans des programmations qui ne sont pas vraiment logiques. On n’a pas vraiment de concurrent direct en tant que festival, mais la concurrence est plus diffuse. On doit se battre avec des budgets moindres.
Les salles de concert font le constat d’une difficulté à renouveler les publics. Qu’en est-il pour vous ?
FF — C’est une discussion que l’on a souvent à la Route du Rock.
AC — Il y a des gens qui nous suivent depuis trente ans, donc un public fidèle et par conséquent plus âgé. Mais, à l’image des groupes programmés, il y a une base de jeunes gens de 20 ans qui découvrent des artistes de leur âge. L’indie-rock n’est pas encore fossilisé. Quand tu regardes la scène post-punk anglaise, elle est très jeune et reprend à son compte cette énergie punk-rock pour en faire quelque chose de nouveau. C’est une scène qui se renouvelle sans cesse.
“En dehors des concerts, ce que tu verras à la Route du Rock, c’est un disquaire, un éditeur qui publie des livres sur la musique, des conférences… La cohérence que l’on cherche dans la programmation doit aussi se retrouver là-dedans. On ne peut pas faire tout et n’importe quoi”
Certains festivals mettent en avant l’idée de vivre une “expérience”, avant d’évoquer leur programmation. Cette tendance généralisée à mettre du “lifestyle” n’a jamais contaminé la Route du Rock.
AC — Si tu parles d’“expérience”, le côté balnéaire à Saint-Malo se suffit à lui-même. On est dans un cadre exceptionnel ! Pour le reste, on a tendance à prendre la musique au sérieux, faire des choses lors de l’événement qui n’ont rien à voir avec cela, on ne voit pas l’intérêt. En dehors des concerts, ce que tu verras à la Route du Rock, c’est un disquaire, un éditeur qui publie des livres sur la musique, des conférences… La cohérence que l’on cherche dans la programmation doit aussi se retrouver là-dedans. On ne peut pas faire tout et n’importe quoi.
FF — Certains nous le font remarquer, nous disent que l’on devrait amener le festival vers quelque chose qui ressemble plus à une “expérience” comme tu dis, mais cette idée me fait penser au concert d’un groupe en fin de vie, qui se contente juste de mettre le son plus fort. C’est sans intérêt.
AC — La musique ne doit pas être une bande-son ou un prétexte.
FF — C’est tellement évident pour nous que ce n’est même pas un débat en interne.
L’organisation d’un festival n’est pas toujours adapté aux enjeux environnementaux. Plusieurs grands évènements ont d’ailleurs été épinglés cette année. Quelles sont les mesures prises par la Route du Rock pour réduire son impact sur l’environnement ?
FF — On a pris un peu de retard, mais on le rattrape. Un groupe de travail très actif a été créé cette année et on a acté pas mal de choses très vite. Sans parler de révolution, on s‘est fixé un objectif “zéro plastique” et les gobelets consignables ne seront plus logotés pour inciter les gens à les ramener au bar et non chez eux. On aura un bar à eau gratuit, servie dans des verres pour éviter tout gaspillage. On fait par ailleurs travailler de plus en plus d’entreprises locales pour limiter l’empreinte carbone des déplacements. Et puis on mutualise un maximum de choses avec le festival reggae No Logo, qui joue juste avant nous, en gardant la même scène notamment.
Propos recueillis par François Moreau