Comédie fantastique sortie en 1993, le film culte d’Harold Ramis avec Bill Murray ressort au cinéma en version restaurée le 10 août prochain.
La ressortie de ce film, qui a beaucoup trotté dans nos esprits ces dernières années, vient remettre les pendules à l’heure sur l’effarant degré de prescience du chef d’œuvre d’Harold Ramis.
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La boucle temporelle
C’est probablement le gif que vous avez vu le plus souvent entre le 17 mars et le 11 mai 2020 : Bill Murray éclatant le radio-réveil qui le tire chaque matin du sommeil, au son de l’entêtant I Got You Babe de Sonny et Cher. De là à dire que le film avait prévu la pandémie, il y a une bonne dizaine de pas que nous nous ne franchirons pas. Néanmoins, Groundhog Day a tout de même eu du flair avec sa tragédie de la répétition, son intuition d’un monde où il n’y a plus rien à vivre ni à raconter (rappelons que le héros est un journaliste déçu), sinon l’expérience infinie du même. Sa sortie a d’ailleurs coïncidé avec le reflux du thème de la “fin de l’Histoire”, initié par Francis Fukuyama après la chute du mur de Berlin. L’Histoire, certes, n’a pas pris fin, mais elle a peu à peu pris le chemin d’une boucle, exacerbée trente ans après, et qui ressemble aujourd’hui (seule différence), non plus à un hiver, mais à un été sans fin.
Le Hollywood ludique
Il y a une poignée d’occurrences du motif de la boucle temporelle antérieures à Un jour sans fin, mais l’immense majorité d’entre elles sont sorties après lui. Si le motif a préfiguré quelques autres comédies romantiques (comme le réjouissant Palm Springs en 2021), il a surtout fait florès dans le thriller et la science-fiction (Source Code, Edge of Tomorrow…), genres plus naturellement accueillants pour son argument fantastique, qui était difficile à justifier dans un format romcom (les producteurs de Columbia s’arrachaient d’ailleurs les cheveux pour demander à Harold Ramis d’expliquer pourquoi Phil reste bloqué le 2 février, ce qu’il a toujours refusé de faire). Mais, plus largement, Un jour sans fin préfigure un devenir vidéoludique du cinéma : un des premiers (il y a tout de même eu Retour vers le futur) de ces films jouables, aux héros capables d’agir à l’infini sur un monde où toutes les conséquences de leurs actes sont infiniment réversibles, à l’instar (entre autres) des multiverse movies d’aujourd’hui.
Le Hollywood conceptuel
Combien de temps Phil reste-t-il coincé dans sa boucle ? Internet regorge de savants calculs estimant le résultat à une trentaine d’années. Montons les enchères : ce que le film produit, c’est un vertige bien plus colossal et, pour nous, Phil reste mille ans. Un jour sans fin propose plus qu’un petit conte moral sur un bougon orgueilleux qui doit réapprendre à aimer : c’est une expérience limite de la narration, un récit qui s’arrache à toute structure et projette son héros dans une espèce de nihilisme mystique. L’expérience prend une dimension hyperbolique et glaçante à mesure que Phil s’élève au-dessus de la mort et du temps. Avoir emmené le film sur de tels terrains n’est pas le moindre des mérites de Rubin et Ramis, qui trouvent sans doute dans le néo-maître du temps qu’est Christopher Nolan leur principal héritier contemporain.
Le Bill Murray sombre
La première inspiration du personnage de Phil est sans doute Bill Murray lui-même, qui révèle dans le film toute sa misanthropie égotiste, plus ou moins cachée jusqu’ici par sa carapace de chasseur de fantômes débonnaire. L’acteur s’est de fait comporté plus atrocement que jamais sur le tournage, qui marqua la fin de son amitié avec Harold Ramis : n’en faisant qu’à sa tête, il imposa une tonalité abstraite et philosophique à la comédie (qui en profita probablement beaucoup, certes) et refusa toute directive du réalisateur au point d’imposer de ne communiquer avec lui que par l’intermédiaire d’une assistante… qu’il choisira sourde et muette (authentique anecdote glanée dans le Bill Murray: Commencez sans moi de Yal Sadat, paru l’an dernier chez Capricci). Les effronteries de l’acteur l’isolent de plus en plus et le film est peut-être le premier à l’avoir prévenu.
La fin de l’avenir
Si le film se conclut par une morale qui célèbre enfin la noce entre le héros et ce présent qu’il décide de ne plus fuir, alors le corollaire de cette morale est sans doute de faire son deuil du lendemain. C’est toute la drôle de tonalité qu’un revisionnage actuel donne à la conclusion : l’impression que toute l’histoire d’Un jour sans fin consiste à accepter une impasse, ne plus chercher à avancer. On a un peu oublié que Phil et Rita, se levant le matin, décident finalement de rester pour s’installer dans cette bourgade que Phil vient pourtant de passer une éternité à tenter en vain de quitter. “Vivons ici, nous commencerons par louer”, dit l’homme. Adieu demain. Un décroissant éco-anxieux de 2022 s’exprimerait-il autrement ?
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