Deux ans après le beau “Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait”, le cinéaste signe un pas de deux amoureux et adultère où brillent deux interprètes au diapason d’une parfaite partition dialoguée.
Dans une soirée, Charlotte (Sandrine Kiberlain dans l’une de ses zones de confort, le registre de la fille rentre-dedans qui est ou fait semblant d’être désinhibée, depuis Rien sur Robert de Pascal Bonitzer) drague le timide Simon (Vincent Macaigne, incarnation de l’homme sensible dans le cinéma d’Emmanuel Mouret). Simon est marié et Charlotte, célibataire. Les deux couchent ensemble, après avoir passé un pacte : hors de question de s’attacher, de tomber amoureux·euse, de s’embarquer dans une vraie liaison. Que tout reste léger ! D’ailleurs, Charlotte déteste la passion…
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Les spectateurs et spectatrices – qui ne sont pas né·es de la dernière romcom – devinent tout de suite ce qu’il va se passer. Les amant·es s’entendent bien (y compris quand il et elle se parlent), se revoient très vite et des sentiments naissent (sur un mode très allenien, période Annie Hall). Il est déjà trop tard, tous·tes deux le savent, l’ont déjà vécu. Mais il est hors de question de le dire : ce serait prendre le risque de briser le charme de leur aventure et de tomber dans le ridicule, voire le sordide.
Une complicité avec son public et avec ses personnages
Pourquoi pas une histoire de divorce, aussi, des disputes, etc. ? Et ce serait surtout le risque de ne plus jamais se revoir. Et les mêmes spectateur·trices le savent aussi, et Mouret sait qu’ils et elles le savent – c’est le côté lubitschien du film, cette complicité avec son public et avec ses personnages que le cinéaste ne prend pas pour des imbéciles.
Le langage, manié avec grâce, sert à Charlotte et Simon de paravent, à l’unisson de la mise en scène qui ne cesse de jouer avec les murs, ou de cacher le visage des personnages au moment du kairos (du moment opportun), c’est-à-dire au moment où, si l’un·e des deux prononçait une phrase (au hasard : “Je t’aime”), ce serait tout foutre en l’air, rompre le charme et tout rendre inélégant. Et le tacite crée de la tension dramatique, voire du suspense, ici amoureux.
Une certaine idée de l’élégance
Après les premiers mois, Charlotte et Simon se lancent dans des expériences sexuelles plus aventureuses, sans que le film ne tombe jamais dans la vulgarité. Sans déflorer la suite, on peut quand même se dire que Mouret est gonflé : il arrive à faire passer comme une lettre à la poste l’idée que le couple homosexuel peut être une solution de repli, de retrait.
Emmanuel Mouret semble atteindre une synthèse parfaite, un équilibre miraculeux
À la fin, Simon dit : “On a été élégants.” Oui, vous avez été élégant·es, vous qui avez fait ce film. Avec Chronique d’une liaison passagère, Emmanuel Mouret, aidé en cela par un duo magnifique qui est de chaque scène pendant 1 h 40 (l’entrée de Kiberlain dans le cinéma de Mouret le bouscule un peu, et c’est très bien), semble atteindre une synthèse parfaite, un équilibre miraculeux : une comédie déchirante, parce qu’elle dit la beauté des amours qui auraient pu construire quelque chose de solide et puis au fond non, n’y pensons plus, c’est mieux comme ça. Chronique d’une liaison passagère est le meilleur film d’Emmanuel Mouret à ce jour.
Chronique d’une liaison passagère d’Emmanuel Mouret, avec Sandrine Kiberlain, Vincent Macaigne, Georgia Scalliet (Fr., 2022, 1 h 40). En salle le 14 septembre.
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