Comment transmettre le goût de l’histoire de l’art et documenter ses courants et théories ? Deux ouvrages intelligents – Les théoriciens de l’art, Petite histoire de l’art – et un festival à Fontainebleau, du 2 au 4 juin, inventent des outils pédagogiques précieux pour éclairer un public arty curieux.
Se repérer dans les limbes de l’histoire de l’art, appréhender l’évolution constante de ses mouvements, mesurer les lignes de fracture de ses approches conceptuelles, identifier ses âges successifs, comprendre le contexte social et politique dans lequel l’art ajuste ses formes, saisir le sens de gestes artistiques parfois opaques… : les outils pédagogiques et éducatifs, aussi sophistiqués soient-ils, ne peuvent jamais complètement combler les lacunes qui persistent dans la culture esthétique de chacun d’entre nous. L’histoire de l’art reste un champ inachevé ; nous avons tant à apprendre du savoir de ses théoriciens, de ses conservateurs, des critiques, des artistes eux-mêmes. Pour cela, les livres et festivals permettent de solidifier un savoir imparfait, que la visite des musées et centres d’art contribue déjà largement à nourrir.
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Le nouveau volume, Les Théoriciens de l’art, dirigé par Carole Talon-Hugon, constitue de ce point de vue un outil pédagogique de premier choix : un dictionnaire précieux pour tout lecteur avide de se repérer clairement dans les cycles successifs de l’histoire de l’humanité, indissociable de l’histoire de l’art elle-même. Professeur de philosophie, présidente de la Société française d’esthétique et directrice de publication de la Nouvelle revue d’esthétique, l’auteur a rassemblé une cohorte de spécialistes de l’histoire de l’art, afin de dévoiler en quoi le champ de l’art procède directement du champ des idées.
L’art et les idées
“Comprendre l’histoire de l’art, c’est comprendre le monde des idées avec lequel elle est intimement liée“, écrit Carole Talon-Hugon, en rappelant que la majorité des théoriciens de l’art sont souvent des philosophes (Aristote, Kant, Dewey, Adorno, Deleuze, Benjamin, Jankélévitch, Derrida…), des historiens de la culture (Pline, Vasari, Burckardt, Elie Faure, Erwin Panofksy…), des sociologues (Kracauer, Simmel, Barthes…), des psychanalystes (Freud…), des dramaturges (Brecht, Antonin Artaud), des poètes (Apollinaire, Georges Bataille…), des théoriciens d’arts particuliers (Jauss, Hanslick, Semper…), des critiques (Diderot, Greenberg, Serge Daney…), des musiciens (John Cage…) et évidemment des artistes (Coleridge, Tostoï, Marcel Duchamp, Paul Klee, Fernand Léger, Le Corbusier, Malévitch…).
L’immense mérite du dictionnaire, facile d’accès, est d’entremêler dans un même corpus des traditions de pensée et d’écriture multiples, afin de déterminer en quoi l’histoire de l’art se nourrit de mille affluents, en quoi elle est traversée par différents modes d’intervention et de réflexion. Peut-être, comme le soulignait en 1972, Harold Rosenberg dans La Dé-définition de l’art, c’est parce que “nul ne peut dire avec certitude ce qu’est une œuvre d’art“, que l’histoire abrite autant de réflexions et théories sur sa définition même. Le dictionnaire révèle clairement la richesse des paradigmes artistiques qui se sont succédés au fil des siècles.
“Il existe à chaque moment de l’histoire une grande configuration théorique dominante“, rappelle Carole Talon-Hugon. Oscillant entre un paradigme classique, selon lequel l’artiste reste un artisan qui recherche la beauté des compositions, et un paradigme moderne, indexé aux ruptures dans les conventions, jusqu’au paradigme contemporain, défini par le souci des expériences et des créations singulières, d’autres modèles artistiques, déployés au sein même de chacun de ces trois grands moments, enrichissent l’histoire de l’art. Ce foisonnement réflexif, ici consigné, est d’autant plus sidérant qu’il laisse de côté les auteurs vivants, absents du corpus, concentré uniquement sur des théoriciens dont la pensée, originale et influente, est entrée dans le patrimoine consacré de l’histoire de l’art.
Comprendre les mouvements phare
A cette somme universitaire et théorique, on peut associer la lecture, à la fois décalée et complémentaire, du livre illustré de Susie Hodge, Petite histoire de l’art, chefs d’œuvres, mouvements, techniques, qui, à travers un souci pédagogique appuyé, dévoile à un public profane les fondements de l’histoire de l’art. Les textes courts mais synthétiques, structurés en quatre parties distinctes – les mouvements, les œuvres, les thèmes, les techniques – offrent une coupe transversale d’une histoire, dont chaque lecteur saura faire un habile usage, proportionné à l’état plus ou moins avancé de ses connaissances.
S’il est probable que l’ouvrage n’apprendra rien de neuf aux experts certifiés, tous les autres y trouveront en revanche quelques clés incontournables ouvrant les portes de la connaissance esthétique. De l’art byzantin à l’art nouveau, du baroque au cubisme, du surréalisme au pop art, du minimalisme à l’art conceptuel, l’historienne anglaise, déjà auteur de plusieurs ouvrages à succès, éclaire les pages emblématiques de l’histoire de l’art à travers l’étude de ses mouvements phare.
Elle s’attarde aussi sur des œuvres ayant marqué de leur empreinte délicate l’histoire de l’art – la Venus de Milo, la Piéta de Michel-Ange, le Printemps de Boticelli, les Ménines de Vélasquez, Le bain turc d’Ingres, Le cri de Munch, Le baiser de Klimt, I like America and Amercia likes me, de Joseph Beuys, ou même L’Impossible Physique de la mort dans l’esprit d’un vivant de Damien Hirst… Outre les mouvements et les œuvres, les thèmes fétiches des artistes sont abordés : le portrait, le paysage, la couleur, la nature morte, le mouvement, l’abstraction… Mais aussi les techniques de fabrication des œuvres, comme le marbre, la dorure, la gravure, l’aquarelle, l’empâtement, le ready-made, le collage, la sérigraphie…
La nature et l’Amérique à Fontainebleau
Outre ses ouvrages de référence, ses outils pédagogiques et ses cursus universitaires consacrés, l’histoire de l’art a aussi droit à un festival, dont celui de Fontainebleau constitue aujourd’hui un modèle. Créé en 2010 par le ministère de la Culture sur le modèle des Rendez-Vous de l’histoire de Blois, ce Festival de l’histoire de l’art, qui se tiendra cette année du 2 au 4 juin, se veut un espace de réflexion sur les arts visuels, centré sur un enjeu essentiel : “Apprendre à voir“.
A travers des conférences, débats, expositions et autres ateliers, ce festival conduit par la direction générale des patrimoines, le services des musées de France, l’Institut national d’histoire de l’art et le château de Fontainebleau, s’intéressera cette année au thème de la nature, inépuisable pourvoyeuse de formes à imiter et modèle d’activité créatrice.
De la “nature en ordre” à la “nature mise en scène”, le festival abordera sous de multiples angles le sujet, en explorant les motifs du jardin, des cabinets de curiosité, des représentations de la nature (natures mortes, paysages, allégories), de l’art environnemental, du Land Art. L’historien Thomas Schlesser et Pierre Wat analyseront le paysage comme “tragédie“.
En même temps que ce tropisme naturaliste, le festival fera place à d’autres réflexions, axées sur l’art américain. En faisant des Etats-Unis le pays invité de cette édition, les responsables du festival proposeront de réfléchir spécifiquement à la politique muséale américaine, aux méthodes de recherche et d’enseignement, à la gestion du patrimoine outre-Atlantique. Ce sera aussi l’occasion de se pencher sur la scène artistique contemporaine, incarnée ici par Jeff Koons, invité à prononcer une conférence inaugurale, dans laquelle l’artiste le plus coté du marché mondialisé devrait évoquer sa passion de collectionneur et d’arpenteur des musées. D’autres historiens de l’art, universitaires, conservateurs et critiques seront aussi sur place pour explorer l’histoire de l’art américain, notamment Jonathan Katz pour une conférence sur Warhol, François Brunet, Jean Kempf et Elizabeth Anne McCauley pour une conférence sur la photographie, art majeur aux Etats-Unis, ou Jean-Louis Cohen pour une analyse de l’œuvre de Frank Gehry en France…
D’autres événements sont prévus : un Forum abordera l’actualité des musées, du marché de l’art, de la recherche, ou de la formation aux métiers de l’histoire de l’art ; la section cinéma du Festival rendra hommage au cinéaste Frederick Wiseman ; le salon du livre et de la revue d’art réunira 80 éditeurs et libraires ; les rencontres internationales étudiantes mettront en réseaux des étudiants en histoire de l’art et des professionnels de la culture…L’histoire de l’art : un champ infini et une discipline ouverte à tous les possibles, y compris d’en vivre…
Les Théoriciens de l’art, sous la direction de Carole Talon-Hugon (Puf, 776 p, 35 euros)
Petite histoire de l’art, chefs-d’œuvre, mouvements, techniques Susie Hodge, (Flammarion, 224 p, 20 euros)
Festival de l’histoire de l’art : la nature, les Etats-Unis, 2,3,4 juin à Fontainebleau
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