Découvertes durant les manifestations de soutien aux Pussy Riot, les jumelles Antha et Kincy du groupe Orties parlent de sexe, de drogues, de Doc Gyneco et de romantisme 2.0. Rencontre.
Qui êtes-vous, Antha et Kincy ?
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Antha : On va essayer d’êtres drôles et originales. J’ouvre le bal. Nous sommes deux jeunes artistes porno âgées de douze ans. Douze ans parce qu’on aime bien les mecs un peu pédophiles. Plus sérieusement, on ne dira pas notre âge parce qu’on refuse ce diktat des années qui passent pour les femmes. A 25 ans, nous autres subissons déjà la concurrence des nouvelles venues de 18. Et ainsi de suite…
Kincy : Plus concrètement, Antha est étudiante aux Beaux-arts et moi j’étudie le montage vidéo. On fait de la musique depuis six ans, toujours sous le nom d’Orties. Au début, il y avait des guitares, l’ambiance était gothique. Le bassiste avait un nom d’acteur porno. Pour le dire joliment, Orties est né dans le désir…
Vous avez touché à tous les genres de musique, du rap à la musique gothique et désormais l’électro. Comment passe-t-on si facilement de l’un à l’autre sans perdre le fil de son œuvre ?
Kincy : Les choses se sont faites assez naturellement. L’époque dark, gothique, coïncide avec la phase où Antha était en HP. Nous avions alors besoin de renouveau, de choses fraiches et plus amusantes. Nous avons remis la main sur le rap français que nous écoutions étant jeunes. Le Klub des Loosers nous faisait marrer. On était très fans de Fuzati – beaucoup plus que de Teki Latex. A l’époque, on allait à tous les concerts du Klub et Fuzati nous avait conseillé de faire du rap « pour nous occuper ».
Antha : C’était une phase où on écrivait des textes sans musique, des sortes de longues nouvelles affreuses et adolescentes… (rires)
Kincy : Ensuite, pourquoi le rap ? Une fois que tu as fait du chant quand tu as 15 ans – et tout ça demande de la méthode et une hygiène de vie hein, moi j’ai fait une dépression après avoir fait du chant médiéval ! – tu veux autre chose. On se tourne vers le rap pour deux raisons : d’abord l’amour du texte, ensuite pour pouvoir se défoncer aussi. Le rap est plus moderne, la musique répond à moins de codes. L’idée est de nous défouler. Nous sommes auteures et interprètes, pas compositeurs. Quand tu as un père qui fait du jazz, faire du rap, c’est aussi revendiquer l’idée de faire de la « non-musique ». Alors qu’en fait la musicalité est là, les racines noires, etc.
Ainsi est arrivée la phase rap…
Antha : Phase dont on n’a pas grand chose à dire. Si, la seule chose, c’est de raconter que le premier son que nous avons enregistré était dans le home-studio de Mickey Mossman des Democrates D. Un vrai accomplissement. Quand on écoute la chanson Le Crime, on est au delà du rap. A l’époque, on habitait à Bures-Sur-Yvette, il nous fallait deux heures pour aller à Aulnay-sous-Bois. On était ultra motivées.
Kincy : Mickey nous a fait découvrir le milieu du rap, les mecs de Démocrates D venaient parfois squatter avec nous. Il y avait l’ambiance ghetto qui allait avec, les gros 4X4, l’univers de la drogue…
Et puis vous avez quitté ce monde…
Antha : Pour moi, nous ne sommes pas vraiment parties. Mais on a voulu sortir du trip cas soc’ à la française qui m’a gonflé le cul. Et puis l’immixtion de la religion dans le rap est détestable, anti-artistique. C’est un milieu malheureusement trop enfermé, trop collégien. Un groupe comme 1995, c’est une patate dans ta gueule directe, quoi ! On dirait un boys band, des Justin Bieber qui font du rap… C’est pas possible !
Vous êtes un peu dures, il y a quand même largement pire que 1995 dans le rap français en ce moment, non ?
Antha : Ouais, quand tu vois le dernier Rohff, c’est un désastre Et l’autre (La Fouine, ndlr) qui se fait tirer dessus, il est comme Tal ou Shy’m. Tout ça est à mettre dans la même case : celle de la musique hypocrite !
Kincy : Sauf que Shy’m a zéro revendication, elle ! Il faut surtout dire que nous sommes inspirées par autre chose que le Rap même si ça reste une forte influence. Et quand bien même, les étiquettes, c’est pas un peu terminé ça, non ? Kendrick Lamar, on le classe où ? Dans le rap, l’electro ? Ça devient difficile. En fait, il n’y a que le rap français qui reste enfermé et peu inspiré, peu profond…
Donc on ne vous colle pas d’étiquette ?
Kincy : Pas de rap, pas d’electro, plutôt « chanson française contemporaine » ou « nouvelle chanson française ». C’est là-dedans qu’on voulait classer notre album mais notre maison de disque, Nuun Records, a finalement été obligée de nous mettre dans l’electro.
Antha : Note bien qu’être à coté de Marc Lavoine ou Pascal Obispo nous ferait bander !
Kincy : De toute façon, les étiquettes explosent. En 2012, le rap originel est devenu une musique rétro. Il s’est transformé. Désormais, il existe des passerelles, les logiques artistiques arrivent parfois à se rejoindre et c’est positif. Quand tu prends la logique punk de l’époque, la façon de scander le texte était proche de celle du rap : on ne chantait plus, on parlait. Voilà des exemples de flow inclassables et de beats minimalistes.
Ce qui nous amène à la question de vos influences. Quels artistes vous inspirent aujourd’hui ?
Kincy et Antha, ensemble : Taxi Girl. Dans Paris Pourri, ça se ressent. C’est le même univers. Une retranscription de l’atmosphère parisienne de l’époque, saupoudrée de l’influence d’un titre comme Dans ma rue de Doc Gyneco que Kincy adore. Avec les deux, tu as tout : le Paris classe et le Paris dégueulasse, celui des prostituées, des dealers.
Antha : Plus récemment, Devonté Hynes de Blood Orange (qui travaille avec Solange Knowles) est entré en contact avec nous. Il a flashé sur Orties et nous a envoyé des instru. L’aubaine ! Il ne parle pas français mais a traduit lui même les paroles. Le but est clairement de travailler encore plus avec lui dans un avenir proche.
Et il y a aussi Lana Del Rey…
Kincy : Dans l’esthétique et l’univers, c’est certain. On reprend d’ailleurs le thème de Video Games, dans notre titre Cheval Blanc. En l’occurrence, c’est l’univers romantique et virtuel de Video Games qui nous intéresse, celui d’une dépression à Hollywood, bois sacré à l’écart du monde. « J’ai envie de mourir baby, dans le ciel de LA », voilà ce qu’on chante. L’amour et la mort qui arrivent à grands pas. Le Cheval blanc est une fiction. C’est la licorne aussi…
Antha : La bite ouais !
Kincy : Mais ouais, la licorne, c’est une image super phallique. Le cheval, c’est aussi d’ailleurs, quelque part, c’est l’étalon…
Et ça vous fait quoi d’être devenues un « phénomène hype » ?
Kincy : C’est une revanche de ouf. Il y a une dizaine de jours on a joué au Silencio.
Antha : Moi j’ai arrêté l’école très tôt. Je suis rentrée aux Beaux-arts sans le bac, avec une dérogation. Tout ça participe de l’idée de revanche. Et puis on joue quand même pas dans des boites sur les Champs entourées de connasses aux seins siliconées hein !
Certes…
Antha (reprenant son souffle et une troisième bière) : Orties, c’est une réponse à une angoisse. Souvent des fans nous disent qu’on les sort un peu de la loose, d’un vide existentiel. Et finalement on donne aux gens le même plaisir que nous donnait Fuzati lorsque nous étions plus jeunes.
Pour en revenir aux choses sérieuses…
Antha (coupant la parole) : La sodomie ?
Justement, faut-il voir dans l’outrance de vos textes un quelconque message post-féministe ?
Antha : Dernièrement, j’ai fait rimer « éjaculation faciale » avec « glaciale ». En tous les cas, le clip de Soif de toi est interdit sur Youtube. Mais rien n’est grave la dedans. On est sur Viméo, ahahaha ! Pareil pour la pochette de notre album (On y voit Antha et Kincy topless, plus largement dénudée dans les pages du petit carnet vendu avec l’album, ndlr). C’est de la nudité, un certain message, mais y voir de la vraie pornographie serait exagéré.
On sent un autre truc dans votre musique : l’idée de petites banlieusardes montées à Paris pour tout déchirer. Vous en pensez quoi ?
Kincy : Clairement, oui. Avec Orties, on combat la banlieue triste, l’ennui.
Antha, coupant la parole : La mort, le cimetière urbain. Et la famille de merde ! Il n’y a rien en banlieue, c’est souvent « dortoir » d’ailleurs. Tu es juste là pour dormir. A partir de 18h, il fait nuit, tout s’éteint, il n’y a plus personne dans les rues. Il faut alors apprendre à passer le temps. Soit tu prends des somnifères pour dormir le plus rapidement possible, soit t’enchaines les bières et les joints pour avoir de la distraction.
Kincy : Notre frère est resté là-bas, à Bures-sur-Yvette. Il fait une dépression. La banlieue, il faut la quitter. Regarde, tous les gens avec qui on était au collège se sont cassés ou bien boivent leur pauvre verre au comptoir du café glauque du coin. La banlieue nous rattrape. Orties a été créé pour sortir de ça, du vide. S’échapper.
Pour finir, un mot sur votre prochain projet ?
Antha : Il s’agira surement d’un EP de 6 titres qui ira, à l’inverse de la Sextape, dans une seule direction. La base sera vraisemblablement exotique mais sombre. On aimerait faire du zouk gothique. Autrement dit, utiliser des paroles très sombres sur sonorités exotiques. C’est ce que faisait Doc Gyneco quand on y pense. Il décrivait Paris en mode dégueulasse, parlait des travers des gens et de la ville mais le tout était souvent accompagné d’influence ultra-marines. L’Art est là. L’important pour un artiste est d’être de son temps.
Propos recueillis par Laurent David Samama
Orties, Sextape, Nuun Rec/La Baleine, disponible depuis le 20 février
Pour plus d’info : http://www.ortiesdream.com
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