Embrassant tous les possibles du format court, ces deux créations brillent par la contemporanéité de leurs thèmes et leur approche subtile de la narration.
“Je réclame le droit d’être de la merde.” C’est une gamine d’à peine 15 ans qui parle, parce qu’elle a envie de mener sa vie de fille bizarre au regard de la norme. Sa sœur intersexe, prénommée Sasha, est l’héroïne de Chair tendre, en pleine interrogation sur son identité alors qu’elle subit au lycée remarques et moqueries, et souffre dans sa chair, après de nombreuses opérations imposées durant son enfance. Quand avait-on entendu des personnages aussi atypiques dans une série française s’exprimer aussi franchement ?
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La réponse se trouve peut-être dans la question : on n’avait probablement jamais vu cela. La France se collette enfin avec le contemporain le plus aigu, du point de vue des thèmes abordés et du rythme du récit. Il s’agit d’abord d’une question de génération. De nouveaux et nouvelles auteur·trices, producteur·trices et canaux de diffusion tirent leur épingle du jeu. Et tout ou presque se concentre sur un format, celui de la série aux épisodes de 30 minutes ou moins, que l’Hexagone a longtemps relégué en deuxième division et qui offre pourtant des possibilités presque infinies.
Annuler les barrières classiques entre poilade et drame
Depuis le milieu des années 1990 et plus encore depuis le début de la décennie 2010, le Royaume-Uni et l’Amérique ont fait exploser ce format historiquement réservé à la comédie, en annulant les barrières classiques entre poilade et drame, permettant paradoxalement, si on s’en tient aux questions de durée, d’entrer plus en profondeur dans les vies de celles et ceux qui s’animent à l’écran.
Cela a donné Girls, Transparent, Fleabag ou encore I May Destroy You, pour ne citer que les plus iconiques. Et cela a eu pour conséquence la disparition presque totale des polars et/ou récits d’enquête – alors que dans le format le plus répandu (le 52 minutes), le sentiment domine toujours qu’un cadavre plus ou moins dépecé a toutes les chances de faire de la figuration dès les premières minutes d’une série.
Une espionne américaine dans le périurbain toulousain
En cette rentrée, aux côtés de Chair tendre, Toutouyoutou prouve que la France avance. Créé par David Coujard, Maxime Donzel et Géraldine de Margerie, Toutouyoutou incarne la semi-exception qui confirme la règle : l’action commence près de Toulouse, dans les années 1980, quand une belle Américaine, la blonde Jane, débarque pour donner des cours d’aérobic à la population féminine locale. Sauf que Jane est en réalité une espionne qui cherche à découvrir des secrets aéronautiques.
La série suit donc le fil rouge de ses cachotteries, qui pourraient virer très franchement vers le côté haletant du genre. Mais on voit bien que ce qui intéresse les auteur·trices est d’utiliser la séduction liée à la mythologie de l’espionnage pour mieux creuser un sujet profond : l’ennui périurbain, le sexisme et la manière dont les femmes peuvent décider de ressentir leur corps en dehors des contraintes masculines.
https://youtu.be/i90SKg4ooi8
Comme Jane ment sur ses véritables intentions, Toutouyoutou mène un double jeu avec le sourire. Si OCS avait commandé des épisodes de presque une heure, tout aurait été différent. Il aurait fallu “verrouiller” l’intrigue aéronautique.
Un petit monde que les épisodes parcourent
Chair tendre, de son côté, fait à peu près pareil avec l’enjeu ado. On attend au fil de la saison que se règlent des histoires de premières fois, de désir naissant et d’amours déçues. C’est un peu le cas. Mais Sasha, l’héroïne intersexe jouée par Angèle Metzger, conduit le récit vers d’autres cimes. La créatrice Yaël Langmann a choisi, dans la droite ligne du travail de France·tv slash – qui diffuse notamment Skam France – de proposer une fiction éducative, avec de nombreuses scènes d’explication très claires sur les enjeux liés aux personnes intersexes.
Pourtant, Chair tendre fait autre chose que suivre ce programme à la lettre. La famille de Sasha, sa sœur, sa mère et son père, ses ami·es, tout cela forme un petit monde que les épisodes parcourent avec le goût de la chronique, ce mot que longtemps la fiction française a refusé de regarder en face. Les scènes furtives et les émotions du moment font le charme de Chair tendre, provoquant des montées de sève aussi brèves que fulgurantes. Avec une fragilité, une manière de se poser à côté des tics narratifs habituels, qui fait beaucoup de bien.
Toutouyoutou de Maxime Donzel, Géraldine de Margerie et David Coujard, avec Claire Dumas, Alexia Barlier, Sophie Cattani. Sur OCS à partir du 8 septembre.
Chair tendre de Yaël Langmann, avec Angèle Metzger, Saül Benchetrit, Daphné Bürki. Sur France·tv slash à partir du 26 septembre.
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