Tandis que les membres du jury s’échauffent, les rumeurs enflent sur le prochain palmarès cannois, révélé ce soir à 19h15.
Tandis que le bookmaker anglais Paddypower place le Happy End de Michael Haneke en tête des pronostics pour la Palme d’or, vous rêvez d’un tuyau, d’un bruit de coulisse qui vous permettra d’engager une mise dangereuse et, peut-être, d’empocher le gros lot lors de la cérémonie de clôture cannoise ? Ça tombe bien : voici quelques ruses infaillibles pour repérer les meilleurs poulains.
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L’avis des critiques
On sait que la critique n’est représentative de rien – sinon d’elle-même, et c’est pour ça qu’on l’aime. On ne vous conseillera donc pas forcément de vous fier à ses prescriptions quotidiennes pour débusquer le palmarès du jury Almo. On se souvient par exemple que l’an dernier tous les pronostics critiques donnaient Toni Erdmann de Maren Ade vainqueur par K.O, mais ces prédictions de pythie sûre de son fait furent tranquillement déjouées par le jury : le film allemand chouchou des festivaliers ne figurait même pas au palmarès.
A traiter donc avec prudence, voici donc un précipité des tendances critiques en matière de Palme d’or printemps 2017. D’abord deux poids, deux mesures : la presse internationale, dont un échantillon cosmopolite s’exprime quotidiennement dans la grille des étoiles du magazine Screen ; et puis, jamais d’accord avec ses confrères étrangers, souvent perçue comme snob, farfelue et un peu ingérable : la critique française – dont un panel all stars remet ses étoiles tous les jours dans le tableau du Film français.
Coté international, c’est le Russe Zviaguintsev qui tient la corde depuis le début du festival avec sa ténébreuse vision d’une société upper class russe en voie de déshumanisation. Faute d’amour décroche la moyenne de 3,2 étoiles sur 4, loin devant les seconds ex aequo : le film suédois The Square et le conte magique de Todd Haynes, Wonderstruck, qui plafonnent a 2,7. A signaler que les deux films se ramassant les plus mauvaises moyennes sont français : Le Redoutable de Michel Hazanavicius, qu’on aurait pourtant bien vu séduire largement l’international (carte postale d’un paris sorbonnard rétro, retombées de The Artist, notoriété de la « marque » Godard…), n’obtient qu’une moyenne de 1,5. Ce qui n’est pas beaucoup mais certes mieux que la véritable taule (injuste à notre gout) que se prend le Rodin de Jacques Doillon : 0,6, soit de très loin le bonnet d’âne. Comme quoi la critique internationale n’aime pas trop les biopics culturels made in France.
Dans le tableau du Film Français, la note maximale est une palme. Un seul film en obtient six : 120 battements par minute, l’épopée Act-up de Robin Campillo. Le film fédère les critiques de L’Express, Télérama, Première, Ouest-France, L’Obs et Le journal du dimanche. Seule une petite frange des participants, et que pour aller vite on réunira sous la bannière « presse de droite » (La Croix, Le Point et bien sûr Le Figaro) tortille un peu devant le film (une seule étoile pour ces trois supports). A noter que dans le tableau de Screen (à l’international donc), 120 battements par minute obtient une moyenne de 2,5, plutot bonne mais pas ouf donc. Dans Le Film français, c’est Faute d’amour qui occupe la seconde marche du podium – mais avec seulement trois palmes, donc loin derrière Campillo. A noter que le représentant-maison de ce tableau, notre Serge Kaganski, remet lui une seule palme a un film de la compète et c’est à Wonderstruck de Todd Haynes.
Mais qui sait, la vérité se trouve peut-être dans les tableaux de l’underground critique. Chez le petit phénomène Chaos Reigns, blog ciné devenu carrefour de la cinéphilie sulfureuse, la sélection de critiques accorde ses plus ferventes faveurs au film de Hong Sang-soo – possiblement un épiphénomène français, suivi d’ailleurs de près par le film de Robin Campillo, gratifié de trois palmes par les onze critiques du panel (parmi lesquels notre Jacky maison). Pour le gang de Chro, dont la particularité est de comparer les notes maison à celles de leurs confrères afin de couronner en fin de festival le gagnant d’un concours de compatibilité (Mathieu Macheret, du Monde, emporte la « promesse d’embauche » édition 2017), les frères Safdie jouissent des meilleurs éloges. C’est aussi le cas du tableau d’emojis de Calmos, d’où on ne dégage de fait aucune moyenne (c’est quoi la moyenne entre un emoji aubergine et un emoji qui pleure ?), mais où la série de cœurs accordés à Good Time semble en faire un gagnant – bien que Okja de Bong Joon-ho s’y voie aussi honoré d’une série de grands sourires.
L’avis du public
Mais que dit le public ? L’applaudimètre du Grand Théâtre Lumière a enregistré trois grands favoris (dont deux assez alarmants) : 120 battements par minute, In The Fade et Vers la lumière. Le premier sans doute pour une double raison. D’une part, la plus forte houle émotionnelle de la compétition, autant gonflée de deuil que de love collectif et d’adrénaline politique – c’est d’une clameur libératrice, pulsionnelle que la salle s’est trouvée saisie comme d’un haut-le-cœur. D’autre part un présent total, malgré son enveloppe de film d’époque (le début des années 1990) : les abominables pièges homophobes de Cyril Hanouna – le jour même ! – couplés à l’actualité tchétchène ont-ils fait du film de Robin Campillo un objet si brutalement nécessaire que la salle aura voulu lui dire merci ? Reste à savoir si l’ovation aura vibré assez fort pour réveiller le Almodovar queer de la Movida. On l’espèrera cependant le plus sourd possible aux deux autres tonnerres d’applaudissements – signaux forts préoccupants d’un goût cannois malade, en tant que célébration de deux extrêmes du pire, rêverie gluten-free d’un côté (Vers la lumière de Kawase) et polar à graisses saturées de l’autre (In The Fade d’Akin, qui offre aussi à son actrice Diane Kruger une partition de mère vengeresse susceptible de lui rapporter un prix d’interprétation).
L’avis du jury
Mais qu’est ce qui s’agite dans la tête de Pedro Almodovar? Quelle photographie du cinéma mondial aura envie d’instagrammer par son palmarès celui qui n’est jamais monté au sommet du podium cannois (un Prix de la mise en scène pour Tout sur ma mère, un Prix d’interpretation féminine pour Volver, mais zéro palme). Président Pédro connait-il le ressentiment? Si oui, il n’aura peut-être pas envie de donner une récompense qu’on lui a toujours refusée à un auteur à la réputation déjà établie, au prestige un peu concurrentiel de son statut (type Todd Haynes, Sofia Coppola). Et encore moins filer à Haneke l’occasion de le battre avec un score humiliant de 3/0. Autant de raisons d’envisager que Pedro se battra pour 120 battements par minutes : parce que l’évocation de cette guerre que fut la lutte contre le sida devrait quand même toucher en lui une corde sensible ; parce que le film, pourtant grave dans son sujet, communique une force positive a laquelle on imagine le cinéaste madrilène plus sensible qu’au désenchantement amer d’un Zviaguintsev ou d’un Loznitsa ; enfin, Robin Campillo n’est pas encore reconnu comme une grande signature du cinéma d’auteur international et l’occasion de primer un film venu un peu de nulle part plutôt qu’un artiste postulant depuis quinze ans à cette récompense pourrait aussi séduire Pedro.
Mais les autres membres du jury ? Qu’est ce qui les travaille ? Le compositeur juré Gabriel Yared a déclaré en tout cas un « Président très à l’écoute » et le palmarès sera donc forcément empreint de la vision de cinéma des autres membres du jury. Question : qu’est ce qui de son notoire engagement féministe ou de son véganisme sera le plus déterminant dans les choix de Jessica Chastain ? Si le premier l’emporte, elle pourrait avoir envie de délivrer la Palme à une réalisatrice (pour seulement la deuxième fois dans l’histoire du festival, 24 ans après La Leçon de piano de Jane Campion). Dans ce cas, deux postulantes seulement. D’abord, Sofia Coppola, dont Les Proies effectue de fait un travail de déplacement dans la répartition des prérogatives du désir et de la domination – mais la star Jessica aura-t-elle envie de couronner un pur film de stars féminines mais où elle n’est pas? Peut-être. L’autre postulante, c’est Lynne Ramsay, dont l’intrigue très embrouillée de You were never really here a perdu beaucoup de festivaliers – mais pas notre très avisé Jacky Goldberg, capable de tout démêler de cet imbroglio criminel dès la sortie de projection devant un auditoire aussi médusé qu’admiratif. Jessica a-t-elle bien capté le film? S’est-elle fait tout expliquer en catimini par l’exégète officiel Jacky G ? A-t-elle aimé se perdre dans ce dédale post-lynchien? Se sent-elle solidaire de son condisciple vegan Joaquin Phoenix? En tout cas si c’est le véganisme qui l’emporte, elle trouvera dans la défense de Okja de Bong Joon-ho une fable imparable contre la maltraitance animale.
Et Will Smith, il pense quoi? Certains festivaliers (observateurs ou mythos) prétendent l’avoir vu se lever et applaudir comme un forcené l’épure intimiste de Hong Sang-soo, Le Jour d’après. On adore l’idée d’un Will Smith abasourdi par la découverte du cinéma statique et bavard (et génial) de HSS – et on se prend à rêver dans un prochain futur d’une intrusion du Prince de Bel-Air dans un nouveau petit joyau du cinéaste coréen, où sa grande carcasse ivre, pliée dans un minuscule bar à soju, draguerait maladroitement la sublime Kim Min-hee.
Au jeu du « Qui aime quoi? », on imagine Agnès Jaoui défendre avec véhémence Campillo – mais peut-être aussi le cinéma de dialogues ciselés de Noah Baumbach. Et on craint hélas que Paolo Sorrentino ne soit sensible à la misanthropie ricanante d’un Ruben Oslund (The Square), Yorgos Lanthimos (Mise à mort du cerf sacré) ou d’un Sergei Loznitsa (Une femme douce).
Et donc?
Pour résumer, on voit deux possibilités se dessiner : d’un côté, un palmarès tourné vers les forces vives, la vigueur, l’électricité d’une parole si forte qu’elle accouche d’un monde (120 battements) ou de corps tumultueux bringuebalés dans la grande cascade du présent (Good time, le magnifique film des frères Safdie, porté par le grand Robert Pattinson, autre favori pour un Prix d’interprétation) ; de l’autre, un palmarès tourné vers un fantasme de cinema high art qui déroule mornement sa représentation sentencieuse du grand désastre du monde (Ziaguintsev, Lanthimos, Loznitsa, avec Haneke pour patron).
Et normalement à ce stade, vous avez plus de pronostics possibles qu’il n’y a de films en compétition. Allez, on est crème. On vous décoche quand même un vrai prono, à l’arrache :
Palme d’or : 120 battements par minute
Grand prix : Faute d’amour
Prix d’interprétation masculine : Robert Pattinson pour Good Time
Prix d’interprétation féminine : Diane Kruger pour In the fade
Prix de la mise en scène : Hong Sang-soo pour Le Jour d’après
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