Autrice avec sa sœur Marine d’un guide des piscines parisiennes, Colombe Schneck nous explique en quoi nage et féminisme s’accordent bien.
“À 50 ans, j’ai découvert que j’avais un corps”, écrit Colombe Schneck dans La Tendresse du crawl, récit d’une idylle furtive, d’une rupture et d’une révélation à soi-même sur fond d’eau chlorée. Paru en 2019, ce court roman témoignait aussi d’une passion naissante, celle de son autrice pour la nage en piscine, une activité aux vertus thérapeutiques et libératrices, qui l’a guidée dans une meilleure connaissance de son corps et d’elle-même.
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À elle alors, dans Paris à la nage, de guider les autres dans la quarantaine de piscines parisiennes, où l’on laisse, au vestiaire à l’ancienne ou dans un casier moderne, ses affaires et ses fardeaux le temps d’une immersion salutaire en milieu aquatique. Avec sa sœur Marine, qui signe les dessins, Colombe Schneck passe en revue tous ces établissements, de leur aspect extérieur à la température de leurs bassins, sans oublier leur accessibilité pour les personnes à mobilité réduite, et en profite pour faire émerger des thématiques féministes, comme celle du corps féminin dans l’espace public. Contactée par téléphone, elle nous explique en quoi son féminisme et sa pratique de la natation s’accordent avec tant de fluidité.
Vous avez raconté votre rencontre avec la natation dans La Tendresse du crawl. Quelle a été cette révélation?
Que j’avais un corps. J’ai été élevée dans une famille où le corps était assez secondaire, on s’en occupait quand on était malade, mais ce qui comptait c’était l’éducation, la lecture, l’esprit. Le corps suivait. Je savais que j’avais un corps -j’ai eu des enfants, j’ai avorté-, mais à chaque fois c’était plutôt des expériences subies. Je considérais que mon corps de femme était fragile, plus faible, moins costaud que celui d’un homme, et je l’acceptais. En nageant, j’ai appris l’intelligence de mon corps et de mes gestes et donc, j’ai appris beaucoup de moi.
Comment les femmes occupent-elles cet espace mixte et public qu’est la piscine? Faut-il, comme partout, y faire sa place?
J’ai eu une autre révélation le jour où j’ai commencé à dépasser les hommes dans les couloirs de nage. Je suis plutôt petite et j’ai découvert que mon corps avait une certaine puissance que j’ignorais. Je passais devant des grands mecs hyper costauds car j’avais une meilleure maîtrise de mes gestes. En apprenant à nager, on apprend aussi à prendre de la place. Moi, comme femme, je n’osais pas en prendre trop. Je baissais la tête, comme beaucoup de femmes j’avais tendance à restreindre la place que j’occupais.
Avec votre soeur, vous débattez de la mixité sous les douches et vous n’êtes pas d’accord sur cette question… Quelles sont vos positions?
L’avis de ma sœur, c’est que le corps à la piscine est un corps asexué. C’est un corps nageant, et la question de la sexualité disparaît. Moi, je pense quand même qu’on reste des corps sexués, et sous les douches en particulier, il peut y avoir des regards ou des gestes gênants. Moi, je suis plus à l’aise dans des douches non mixtes. Je n’ai pas envie de sentir le regard d’hommes sur moi quand je me douche.
Vous ne pensez pas que les femmes réussissent à se soustraire au regard des hommes quand elles vont à la piscine ?
Si, mais plutôt lorsqu’on est au bord de l’eau ou dans l’eau. À la piscine, on voit les corps tels qu’on ne les voit jamais. Les corps des autres que l’on voit habituellement, ce sont des corps parfaits de magazines. À la piscine, c’est la vérité du corps qui s’expose, on n’est pas parfait·es, on est des êtres humains. Moi, cela m’a beaucoup décomplexée.
Par quel autre aspect la natation s’accorde-t-elle harmonieusement avec vos convictions féministes?
J’étais quelqu’un d’assez anxieux et cette anxiété a beaucoup diminué, je suis devenue bien plus solide. Cette solidité permet d’accepter les incertitudes de la vie, votre vulnérabilité, tout ce qui vous fait peur, mais aussi à accepter la solitude. On nage seule, ce n’est pas un sport collectif, et il me semble que l’apprentissage de la liberté passe par l’acceptation de la solitude.
Vous écrivez: “On ne nage pas pour maigrir, mais pour se sentir mieux dans son corps et dans son cerveau.” En quoi cette précision vous semblait-t-elle primordiale?
Parce que dans certains magazines féminins, il y a des injonctions à faire du sport pour maigrir. Mais en fait, on a faim quand on sort de l’eau et il faut manger (Ndlr: Dans leur guide, Marine et Colombe Schneck en profitent pour passer aussi en revue les restaurants aux abords des piscines) -d’ailleurs moi, j’ai plutôt grossi. Depuis que je nage, je me sens beaucoup plus heureuse, très apaisée, j’ai pris de la place. Et prendre de la place, c’est aussi prendre du poids. On ne peut pas nager avec un petit corps tout maigrichon, ce n’est pas possible. Les muscles, c’est lourd.
Nager vous aide aussi dans votre vie d’autrice. Vous écrivez que lire, écrire et nager sont devenus une seule et même activité. Comment tout cela est-il relié?
Comme le dit ma soeur, “nager est mon deuxième bureau”. C’est en nageant que je trouve les solutions. Cela m’a beaucoup aidée dans des situations de blocage, à imaginer des choses. Par ailleurs, je prends des cours de crawl, et j’essaie de faire en sorte que ma façon de nager soit la plus fluide et la plus sobre possible. Le crawl, c’est vraiment l’art de limiter tous les gestes inutiles et presque de fournir l’effort minimal. Dans l’écriture, c’est pareil, je veux qu’elle soit la plus fluide possible, qu’il n’y ait pas un mot, pas une virgule, pas un adjectif en trop. Le crawl a nourri ce désir d’épure dans mon écriture.
Paris à la nage – guide des piscines parisiennes, de Colombe et Marine Schneck (Allary/My Little Paris), 312 pages, 18,90 euros
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