Chanteuse, actrice, mannequin, directrice de boîte de nuit, fleuriste. Après avoir vécu mille vies, Dani s’est retirée à l’âge de 77 ans.
“L’élégance, ça se mesure souvent à la distance qu’on a par rapport au monde”, me disait-elle il y a quelques saisons. Mais Dani n’a jamais été déconnectée, mis à part de la lumière du jour, pendant une longue période, elle, reine de la nuit. Rares sont les artistes qui ont autant rencontré les autres, de Gainsbourg à Keren Ann, de François Truffaut à Étienne Daho, d’Helmut Newton à Mondino, de Thierry Le Luron à Karl Lagerfeld. Faire connaissance avec Dani, c’était quelque chose. Zéro langue de bois, une tendresse viscérale. Une franchise sans filtre.
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Dans La Nuit ne dure pas, ses mémoires publiées en 2016, on apprenait les dessous d’une tumultueuse existence entre Perpignan, où elle a grandi, et Paris, où elle a eu le droit à une seconde naissance. Née le 1er octobre 1944 à Castres, Danièle Graule est élevée par des parents aimants, l’un cordonnier, l’autre vendeuse de chaussures. Les origines sont catalanes, le foyer est remuant et joyeux. On écoute Luis Mariano, on chante beaucoup, on joue du piano, même si les revenus sont précaires (le magasin de chaussures ne marche pas toujours aussi bien qu’il le devrait). Pas loin, un disquaire tenu par un copain de la famille. À 14 ans, Dani découvre Elvis Presley, qu’elle écoutera jusqu’à la fin de sa vie.
Zouzou et Benjamin
Le 11 novembre 1963, la jeune femme au regard frondeur a 19 ans et prend le train pour Paris. Elle et son accent du sud à couper au couteau se baladent à Saint-Germain-des-Prés. Un peu déboussolée, elle se pose au Café de Flore. Sa voisine de table s’appelle Zouzou. Elles se lient d’amitié. Le lendemain, Dani pousse la porte de Jours de France et propose ses services de mannequin. Et ça marche : elle fait la couverture de la revue quelques semaines plus tard ! S’ensuivent des années de fêtes avec Zouzou, Natacha Massine et de rencontres, notamment avec le photographe Benjamin Auger, avec qui elle s’installe quasi aussitôt, devenant une belle-mère idéale pour le fils de celui-ci, Emmanuel. Elle accouchera de Julien cinq ans plus tard. En pleine effervescence yé-yé, un collègue de Benjamin, lui aussi photographe à Salut les Copains, lui dit qu’avec “la gueule et l’allure” qu’elle a, elle devrait chanter. Son premier 45 tours, Garçon manqué, car Dani adore les blue-jeans, paraît en 1966.
C’est un four, mais Dani fait sa première scène, une première partie de Tom Jones à l’Alhambra. On a vu pire ! Sa carrière est lancée. Tony Krantz la signe chez EMI et Jean-Daniel Simon lui offre un vrai rôle dans son premier film, La Fille d’en face, en 1967. Tourné au Café de Flore, cela va de soi… Dani a l’habitude de la caméra : depuis son enfance, ses sœurs et elles sont sans cesse prises en photo et filmées par un papa admiratif. Elle enchaîne ensuite les plateaux. Avec Jean-Marie Périer, pour Tumuc Humac, en 1971, avec Georges Lautner, pour Quelques messieurs trop tranquilles, en 1973, avec Raymond Depardon, pour Une partie de campagne, en 1974… et deux fois avec François Truffaut, pour la cultissime Nuit américaine (1973) et L’Amour en fuite (1979). Jusqu’au début des années 2020, elle travaille avec Claire Denis, Sylvie Verheyde, Danièle Thompson, Claude Chabrol, Maïwenn…
Oiseau de nuit
“La nuit, c’est magique, écrivait-elle. On est désinhibé, on croit qu’on peut tout se dire, tout faire, que tout est jouable.” C’est donc logiquement qu’en 1974, celle qui aime tant la nuit ouvre son dancing L’Aventure, encouragée par Alain Delon. Tremble, Studio 54 ! Tout le monde vient et tout le monde s’amuse. Y compris Serge Gainsbourg, qui, en 1975, reçoit souvent Dani rue de Verneuil, pour travailler quelques titres, dont un certain Boomerang. “Je sens des boums et des bangs/Agiter mon cœur blessé”… Refusé par le label, qui le considère trop violent, jusqu’à ce que l’ange gardien Étienne Daho, au début des années 2000, reprenant cette chanson, la pousse à chanter avec lui. D’abord réfractaire, elle cède. Et c’est son grand retour, qui donne suite à de nouveaux albums : Tout dépend du contexte (2003), Laissez-moi rire (2005), Le Paris de Dani (2010) et Horizons Dorés (2020). Daniel Darc, Alain Chamfort, Miossec, Pierre Grillet, Jacques Duvall lui confectionnent des chansons sur-mesure qu’elle entonne de sa voix de profundis et d’une rock’n’roll attitude qui n’appartenait qu’à elle, elle qui aimait autant la Callas que les Rolling Stones.
Mais entre-temps, Dani aura connu les turpitudes et la solitude de l’héroïne, dont elle mettra de longues années à décrocher. Elle aura subi des faillites, des coups bas, elle sera tombée sur des pièges. À la fin des années 1980, elle s’est éloignée du clubbing, et, amoureuse des fleurs depuis l’enfance, elle ouvre, d’abord sous la houlette d’Interflora, Au nom de la rose. Pendant plus de dix ans, elle tient plusieurs boutiques où elle partage, passionnée, les couleurs et les senteurs des roses. Les lunettes aux verres fumées, la noire chevelure, le rire spontané. Depuis quelques années, Dani vivait à Tours. Au calme, entourée de verdure, elle aimait ses retrouvailles avec Paris, et remonter sur scène. Accompagnée de la compositrice et guitariste Emilie Marsh, elle avait imaginé le spectacle Horizons dorés. “J’ai vu des vœux s’exaucer/Connu des mieux différés/Jamais je n’ai renoncé/J’ai rêvé la nuit le jour/Personne n’a su m’empêcher/J’ai rêvé la réalité”, chantait-elle dans le morceau-titre de l’album éponyme. Son prochain disque, dont elle terminait la préparation, devait s’appeler Attention départ. Elle nous aura prévenu·es.
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