Adaptée de l’autobiographie “In With The Devil”, la mini-série “Blackbird” met en scène un rapprochement entre un trafiquant et un serial killer dans une prison de haute sécurité. À voir sur Apple TV+
Pour situer Blackbird sur l’échiquier, on dira que ses épisodes évoquent True Detective et Mindhunter, avec une touche de The Night Of. Une conception noire et prenante de l’entertainment, pour résumer. Trois références plutôt écrasantes (qu’elle n’atteint pas) brandies à cause du sujet et de l’atmosphère de la création de Dennis Lehane. L’écrivain de polar américain, connu entre autres pour Mystic River – le roman et le scénario du film marquant de Clint Eastwood sorti en 2003 – adapte ici un livre co-écrit par l’un des protagonistes de cette histoire vraie, James Keene. Cet ancien dealer, condamné à dix ans de prison, s’est retrouvé face à une étrange solution pour espérer sortir de prison plus vite : le FBI, séduit par son charisme, lui a proposé de se rapprocher d’un tueur en série en intégrant une prison de haute sécurité. Le but ? Se lier avec cet homme retors et malade pour en tirer une confession, alors que l’enquête piétine et qu’il pourrait être libéré par manque de preuve.
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À la suite de cette entrée en matière, l’essentiel de Blackbird se construit autour d’une demande de séduction, non pas sexuelle, mais amicale et complètement masculine. James (Taron Egerton, vu dans Rocketman) est un jeune homme à la beauté classique fifties, cheveux en arrière et muscles saillants. Le début de la série le montre en hétéro de base, enchaînant les conquêtes. En prison, il porte des débardeurs qui dévoilent son corps athlétique. Face à lui, un homme à la voix frêle, à la silhouette grasse et aux favoris étonnants, Larry Hall. Paul Walter Hauser joue ce personnage à l’opposé de son plus beau rôle, celui de l’agent de sécurité dans Le Cas Richard Jewell d’Eastwood, accusé à tort d’avoir posé une bombe durant les Jeux olympiques d’Atlanta en 1996. Car Larry Hall est un tueur de jeunes filles, cela ne fait aucun doute. Il passe le plus clair de son temps à esquiver les avances de son nouveau camarade de jeu, installé dans une cellule proche de la sienne. Oz – série de prison mythique créée par Tom Fontana, aux débuts de l’âge d’or de HBO – n’est pas si loin.
Amitié naissante
La force de Blackbird se niche non pas dans l’enchaînement des rebondissements, souvent artificiels et parfois trop facilement amenés, que dans la manière qu’ont les épisodes de laisser du temps au duo pour se former. Une certaine radicalité se dessine autour de longues conversations durant lesquelles les deux hommes, chacun à leur manière, luttent pour leur vie. Lehane n’est pas un scénariste spécialement subtil, mais dans ce genre de situations, il nage dans des eaux qu’il maîtrise parfaitement. Regarder les hommes s’empêtrer dans leurs schémas de domination, voilà son affaire, qui traverse les six épisodes du début à la fin. De ce point de vue, ce qu’il fait de plus singulier concerne sûrement le beau gosse James Keene, à la fois gêné par son corps et en adoration de lui-même, comme en représentation permanente. La démarche particulière de ce type qui roule des épaules comme on roule du cul donne l’impression qu’il débarque d’un autre monde, un monde intérieur plein de peurs qu’il ne peut évacuer qu’en s’assurant que les autres le matent et le désirent. Taron Egerton est vraiment fascinant dans ce rôle à la limite de l’exploitation, qui utilise les clichés de la masculinité pour les effriter peu à peu. On pense parfois à Prison Break, dont l’un des intérêts principaux consistait à regarder le personnage principal (joué par Wentworth Miller) en train de se faire tatouer douloureusement.
Les derniers mots de Ray Liotta
Dans cette exploration de divers modèles masculins – sans compter le gardien de prison et le chef mafieux qui gère son trafic entre quatre murs –, Blackbird s’appuie de manière forte sur les acteurs. C’est même grâce à eux que les épisodes d’une heure passent aussi vite. On retrouve avec plaisir Greg Kinnear en inspecteur de police dont les efforts pour coincer Larry Hall lui ont manifestement coûté. Son personnage est un type élégant mais fatigué, que l’acteur interprète avec une mélancolie qu’on lui connaissait mal, peut-être à cause de son pedigree plutôt orienté vers la comédie. Il donne en peu de scènes un ancrage à la série, une profondeur assez émouvante.
Mais que dire de Ray Liotta, qui apparaît ici dans son ultime rôle avant son décès le 26 mai dernier ? La star des Affranchis incarne le père de James Keene, un ex-flic ravagé par l’alcool et les regrets, incapable de vraiment aider son fils alors qu’il le voudrait tant. Que dire sinon qu’on le reconnaît à peine dans les premiers instants et que ses yeux, son regard, finissent par se ré-ancrer en nous ? Ce qu’il propose est une performance typiquement américaine, à rapprocher de celle de Val Kilmer dans le dernier Top Gun, quand la fiction de soi et la réalité d’une maladie se superposent. Nous sommes au-delà du voyeurisme, dans une réalité blafarde et fascinante du spectacle américain.
Blackbird. À voir sur Apple TV Plus.
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