Des hordes d’adolescents ont débarqué dans les salles de cinéma vêtus de costume pour célébrer la sortie de “Minions 2”. Un phénomène devenu viral et qui a rapidement irrité les exploitants de salle.
Près d’un 1,2 million de spectateur·trices en seulement cinq jours d’exploitation : c’est le score mirifique atteint par Les Minions 2 la semaine dernière. Certes, le premier volet de ce spin-off de Moi, moche et méchant avait accompli en juillet 2015 un démarrage tout aussi spectaculaire, mais c’était un autre temps. Aucun film depuis le début de la pandémie n’a approché de telles performances et il faut remonter à l’été 2019 et les premiers jours de la version live action du Roi Lion pour trouver des chiffres comparables.
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Dans la même séquence, boostés par la bonne fréquentation de la Fête du cinéma, Top Gun : Maverick franchissait sereinement la barre des 5 millions de spectateur·trices et Jurassic World les 3 millions. On le voit : ces bonnes nouvelles ne manquent pas d’inquiéter sur l’absence de pluralité de ce désir de salle. De façon plus exclusive que jamais, seul le cinéma hollywoodien de divertissement fédère les spectateur·trices. Aucun film d’art et d’essai n’a bénéficié de façon significative de la Fête du cinéma et un film d’auteur aussi séduisant que Peter Von Kant de François Ozon peine à trouver son public. Mais on pourrait penser que cette santé revigorée du blockbuster U.S. satisfait au moins le secteur de la grande exploitation.
Costard, cravate
Eh bien pas tout à fait ! Il aura suffi de quelques vestons noirs et des cravates fines pour saper l’enthousiasme général. La sortie mondiale des Minions 2 s’est en effet accompagnée d’un fascinant phénomène : l’éclosion d’une communauté en perpétuelle expansion, les “GentleMinions”. Les gentleminions sont des adolescents, voire de jeunes adultes, exclusivement masculins, sapés en costard cravate pour aller voir en groupe Les Minions 2. Accessoirement, ils apportent avec eux des bananes (clin d’œil au mot-culte des Minions) qu’ils mangent bruyamment pendant la projection. Échauffés par la joie d’être là, ensemble, fusionnant dans un seul dresscode, ils chantent, s’esclaffent à tout propos, improvisent des pogos devant l’écran et surtout se filment accomplissant cette performance. Le hashtag #GentleMinions cumule ainsi plus de 16 millions de vues sur TikTok.
Dans cette période où chacun (professionnels du cinéma, critiques, etc.) redouble d’efforts rhétoriques pour louer la salle de cinéma comme lieu d’une expérience unique sans commune mesure avec celle du visionnage sur plateforme, on pourrait saluer cette ligue de gentlemen pour inventer une nécessité personnelle à la salle de cinéma – fut-elle celle de devenir un dancefloor de pogo. Hélas, le public plus traditionnel des Minions 2 ne l’a pas entendu ainsi. Certaines familles, importunées par les bruyants malotrus, ont exigé d’être remboursées. Loin de constituer une nouvelle manne, l’afflux de ce public nouveau s’est trouvé compensé par la perte des recettes du public-cible pour la plus grande désolation des exploitants, qui n’étaient pourtant déjà pas en pénurie de soucis. Certains ont aussitôt interdit l’accès à leurs salles à des spectateurs non accompagnés d’enfants (!) ou encore vêtus de cravate (!!). Une mesure il faut bien le dire assez effrayante, dont l’horizon serait que désormais chaque film ne pourrait plus être vu que par sa cible immédiate, où la possibilité pour une œuvre de rayonner au-delà même des intentions de celui ou ceux qui l’ont conçu se verrait interdite de façon intangible. Faire dériver les films, voir les films autrement que de la façon dont ils ont été programmés, c’est quand même la base de la joie cinéphile. Pourquoi pas alors danser le pogo autour d’un plan ? C’est une tribalité cinéphile plus réjouissante qu’une autre.
Les tracas de ces exploitants soucieux de perdre leur base n’ont en tout cas guère ému les pontes d’Universal, ravis de la viralité du phénomène et du coup de fouet donné gracieusement à la promo du film. Sur le compte Twitter du studio, on pouvait lire : “À tous ceux qui vont voir Les Minions en costume : nous vous voyons et nous vous aimons.” Avis aux danseurs de pogos cravatés : il ne faut jamais longtemps à la société du spectacle pour digérer les velléités punks.
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