« Le Redoutable » de Michel Hazanavicius dresse un portrait peu flatteur de Jean-Luc Godard. Un film décevant.
Adapté d’un récit d’Anne Wiazemski sur sa liaison avec Jean-Luc Godard, le film fait le portrait du cinéaste en homme qui passe à coté de l’amour mais aussi de son propre talent. Un portrait amer sous-tendu par des motivations assez indéchiffrables.
Le Redoutable est une œuvre-somme pour Michel Hazanavicius. Il condense en un seul récit deux motifs-clés traités jusque-là par le cinéaste dans des films séparés. Jean-Luc Godard, portraituré dans la France en ébullition du printemps 68, c’est un peu The artist et un peu OSS. Comme dans The artist, Hazanavicius ciselle un créateur en pleine crise artistique car confronté à une importante mutation historique (le passage au parlant vs les espoirs de révolution de mai 68, et la nécessité d’inventer une forme de cinéma qui en épouse les élans).
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Et comme OSS, Godard en 68, aussi avant-gardiste se voit-il, est pour Michel Hazavanicius le produit idéologique de son époque, conditionné sans s’en rendre compte par la domination masculine et une certaine condescendance d’intellectuel mâle avec les femmes. Inattentif, indélicat avec sa compagne (l’actrice Anne Wiazemsky auteure du récit dont le film est adapté), Godard y est un mufle, un macho qui s’ignore, aussi moulé dans une France aux valeurs dépassées qu’Hubert Bonisseur de La Bath.
Une démonstration empreinte d’un fiel sarcastique extrêmement amer
Le Redoutable est donc l’histoire d’un double aveuglement. D’abord, celui d’un homme qui croit avoir vu la lumière (dans l’activisme politique) et n’embrasse que la chimère d’une époque – il y perdra son art (la fameuse période bénie du Godard universellement aimé des années 60/67). Puis celui d’un amant qui sans s’en rendre compte maltraite sa compagne et ne lui apporte plus ce pour quoi elle l’a aimé – il y perdra son amour. Sur les deux versant, la démonstration est univoque, simplificatrice, et empreinte d’un fiel sarcastique extrêmement amer.
Quoi qu’on pense des films militants du groupe Dziga Vertov, on peut porter au crédit de Godard d’avoir mené une des tentatives les plus radicales de déconstruction de la figure romantique du « grand artiste ». Ce mythe, il lui a d’abord donné une formulation hyper-contemporaine et exacerbée (la période A bout de souffle, Le Mépris, Pierrot le fou, où il est construit par les médias comme le dernier avatar de la figure du génie). Puis il a fait le choix de s’en défaire en basculant dans le cinéma militant et les films signés collectivement.
Fort du surplomb d’un recul historique de 50 ans, Hazavanicius réduit ce geste à un suicide social, un désir capricieux de gâchis, un truc d’enfant gâté qui a envie de casser ses jouets. En réduisant la portée théorique du geste de son personnage, c’est sa propre vision (sans nuance et un peu mesquine) que le film rétrécit.
Une collection de vignettes peinturlurées vintage
Le film de Hazavanicius lui ne croit pas à grand-chose. En tout cas pas à la révolution, ni à l’engagement politique, ni aux aventures collectives. A cela, il fait plutôt le choix de l’art, préfère le Godard esthète au Godard militant. Très bien, mais si le film chosit l’art, il n’a hélas pas grand-chose sous son capot en matière de propositions esthétiques : juste une collection de vignettes peinturlurées vintage qui reproduit les codes visuels du Godard mid-sixties (mais avec plutôt beaucoup moins de fraîcheur pop que certains clips de Jean-Baptiste Mondino des années 90, comme l’excellent Séquelles de MC Solaar).
https://m.youtube.com/watch?v=lc9vIa0dGd0
Reste l’amour, que le Godard du Redoutable, loser forcené aurait aussi raté par sa faute. Mais le procès de misogynie que le film intente à son personnage se retourne là encore contre lui-même. Portrait à charge du sexisme, le film ne traite pas tellement mieux son personnage féminin que ne le fait le personnage masculin.
Anne, en dépit de la présence touchante de Stacy Martin, n’est filmée qu’en surface, un peu accessoire, presque décorative – sans commune mesure avec la capacité d’empathie, d’embrasement, de pathos de n’importe quel plan sur le visage de Karina ou Bardot dans Vivre sa vie ou Le Mépris. Car à supposé que Godard fut sexiste, au moins a-t-il conçu quelques-uns des plus beaux portraits féminins du cinéma français.
Que veut nous dire Hazanavicius?
A vrai dire, on se demande surtout ce que cherche le film. Quel est l’enjeu profond à venir discuter cinquante ans après les positionnements politico-esthétiques de Godard ? Dans la France post-Nuit debout, où le Front national est à 35 %, que veut nous dire Hazavanicius sur la tâche des artistes, et les formes que peut prendre leur engagement ? Que chacun ferait mieux de s’occuper de son couple et de son œuvre – gérée comme une marque ? Franchement, il n’y avait pas urgence.
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