Michael Collins, aka Drugdealer, a sorti en 2016 « The End of Comedy », un album d’esthète rassemblant autour de lui le haut du panier de la scène indé de Los Angeles, Weyes Blood et Ariel Pink en tête. De passage à Paris en avril, on a parlé avec lui de skateboard, de musique psychédélique et de la nécessité absolue de dépasser la prise intempestive de psychotropes. Rencontre.
« Les musiciens sont pathétiques. En tournée, certains se coupent du monde et glandent devant leur ordinateur dans une chambre d’hôtel au lieu d’aller à la rencontre des gens. » A peine deux heures avant de monter sur la scène du Pop-Up du Label (Paris XII), Michael Collins, parka façon Liam Gallagher et béret de gavroche vissé sur la tête, attrape sa planche de skate et nous enjoint de le suivre. Ollie, kickflip, nose manual, Collins rentre quelques tricks sur le trottoir en face de la petite salle parisienne et prend la pose comme dans un reportage photo pour Thrasher Magazine.
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« Faire du skateboard tous les jours est le meilleur truc qui puisse m’arriver. Au lieu de stresser bêtement sur tout et n’importe quoi, je me contente de trouver un bon spot. C’est aussi la meilleure façon de déconnecter et de faire connaissance avec des kids qui ne traînent pas forcément dans le milieu de la musique », lâche-t-il, avant de consentir à retourner en loges, histoire de commencer notre interview.
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Sur la route
Affalé sur une chaise, Sasha Desree écluse une bière. Vieux compagnon de route de Michael Collins, il forme avec lui le duo soul et R&B Silk Rhodes, signé sur l’excellent label de Los Angeles, Stones Throw Records. Il fait également partie du grand casting de The End of Comedy, album de pop-psychédélique sorti l’année dernière et porté par Collins sous le pseudonyme camé de Drugdealer. « Cet album, c’est en gros moi qui fait de la musique avec mes potes, confie-t-il. L’ironie de l’histoire, c’est que Sasha se retrouve frontman sur la tournée, alors qu’il ne fait que les choeurs sur le disque. »
A défaut d’être un musicien virtuose, Collins s’impose en leader charismatique. Il a des idées et sait rassembler autour de lui la crème des scènes indé de la planète. Sur l’album de Drugdealer cohabitent ainsi Ariel Pink, Danny James, les Montréalais de Sheer Agony, ou encore Natalie Mering (Weyes Blood). Compliqué dans ces conditions de ramener tout ce petit monde sur les routes d’Europe.
Ce soir, pourtant, les astres semblent parfaitement alignés : Mering, qui doit jouer le lendemain au Point Ephémère, s’est pointée un jour plus tôt. L’occasion de faire un peu de promo, mais surtout de partager la scène avec Drugdealer. « On a de la chance que Natalie soit là ce soir, dit-il. On avait quelques dates en commun. Le but c’était quand-même de tourner le plus possible ensemble. »
Alex Hewett, gourou soul aux faux-airs de Bobby Gillespie, débarque backstage en plein milieu de la conversation avec une poignée de jeunes gens hirsutes. Ex-leader du groupe mancunien « post-baggy » Egyptian Hip Hop, il roule maintenant sous le nom de Aldous RH et vit du côté de Los Angeles. Il accompagne Collins et se fade à la fois les premières parties et le show de Drugdealer en tant que backing band. Si Alex et Michael sont des potes de longue date, ce dernier ne connaissait pas tous les membres du groupe avant de commencer sa tournée européenne. Comme Jolan Lewis qui, à l’instar d’Aldous, a fait ses premières armes en tant que musicien à Manchester, dans des formations rock surtout connues localement, telles que The Pink Teens ou The Foetals. Moustache et dégaine de slacker, Lewis est une sorte de hobo ayant déjà vécu aux quatre coins du monde et incarne à merveille l’idée que Michael Collins se fait d’une belle rencontre.
« J’ai rencontré Jolan il y a à peine dix jours et maintenant il joue avec moi à Paris, raconte-t-il. J’ai beaucoup voyagé sans jamais vraiment savoir où j’allais. Je fais du stop et je rencontre des gens. Aussi simple que ça. Ce genre de voyage est beaucoup plus formateur que n’importe quel trip sous acide. »
Trip psychédélique et jeux de mot pourris
Originaire d’un bled maussade de la banlieue de Boston, « une commune de suiveurs ; le genre d’endroit où les gens jugent sans cesse et où il est impossible de s’épanouir si tu veux être toi-même et te constituer en tant qu’individu », dira-t-il, Michael Collins cherche très tôt le moyen de s’évader. Ça sera d’abord le skateboard, comme une manière symbolique de s’approprier les courbes d’une ville qui étouffe et brime toute velléité d’élévation spirituelle. Viendront par la suite le surréalisme, le philosophie et, bien entendu, l’usage de psychotropes.
« A cette époque, je cherchais surtout à fuir le quotidien. Je voulais tout faire exploser et construire ma propre vie. Je me suis intéressé à l’abstraction des choses », se rappelle-t-il.
Le recours aux drogues psychédéliques et l’expérimentation musicale viendront achever son entreprise de distorsion du réel.
Dès la fin des années 2000, il sort des ovnis sonores psyché dont l’écoute prolongée est censée rappeler à l’auditeur les différentes phases d’un trip sous acide. Sous le pseudonyme Run DMT, Collins lâche ainsi des mixtape délirantes comme Dreams, dans laquelle des anonymes racontent leur expérience sous l’influence de psychotropes – à la manière d’Aldous Huxley dans son ouvrage Les portes de la Perception -, ou encore Get Ripped Or Die Trying, longue complainte séquencée évoquant une séance chamanique dans un espace-temps situé quelque part entre l’Inde, l’Afrique et l’Amérique précolombienne.
En 2013, sous le nom de Salvia Plath, il balance The Bardo Story, son premier véritable album. Le disque, plus axé sur le songwriting, est d’inspiration résolument 60’s et préfigure déjà les errances pop-psyché de Drugdealer.
Drugdealer et son skateboard. Paris, avril 2017 (photo Vincent Gerbet)
La musique de Michael Collins est autant un champ infini d’expérimentation sonore, qu’un vaste projet de détournement pop. Quand il joue avec les homonymes et les paronymes, notamment. Run DMT – à ne pas confondre avec l’horrible projet dubstep du DJ d’Austin John Robbins – rappelle aussi bien Run DMC que la diméthyltryptamine (DMT), puissant psychotrope dont les effets hallucinogènes reproduisent des expériences de mort imminente.
Silk Rhodes, son groupe soul 70’s, fait lui davantage référence à Silk Road, le site internet de vente de came fondé par Ross Ulbricht, qu’à la Route de la soie (sa traduction anglophone), tandis que Salvia Plath convoque à la fois l’auteure américaine Sylvia Plath et la Salvia Divinorum, plante mexicaine aux effets récréatifs. Là encore, ne pas se mélanger les pinceaux avec le projet shoegaze Salvia Palth, du producteur néo-zélandais Daniel Johann. Vous passeriez d’une trip pastoral lumineux à quelque chose de beaucoup plus déprimant, voire même dépressif.
https://www.youtube.com/watch?v=dUegJBEusoI
La fin de la comédie
Les références à la dope hallucinatoire et le second degré sont la marque de fabrique de l’oeuvre protéiforme de Michael Collins. Ceux-ci révèlent un certain manque de confort dans le fait de se définir comme musicien.
« Je vais te dire un truc que j’ai jamais raconté, prévient-il. J’ai appris tout seul à faire de la musique. C’était quelque chose de très naïf, juvénile et expérimental pour moi. Mon groupe préféré à l’époque était Tonstartssbandht ; un jour, alors que je vivais du côté de Baltimore, j’ai joué avec eux à Philadelphie. Moi, je ne savais pas si ce que je faisais pouvait être considéré comme étant de la musique, mais eux m’ont tout-de-suite dit qu’ils adoraient ce que je faisais. Que c’était de la vraie musique. Depuis ce jour, je m’efforce d’être reconnaissant envers quiconque prend le temps d’écouter mes disques. »
The End of Comedy marque ainsi une volonté de rupture et d’affirmation de soi. Comme pour mieux rester connecté au monde sensible et trouver dans la réalité des motifs de satisfaction et d’émerveillement. Dans The Real World, Collins loue la beauté psychédélique du réel. Une beauté non-altérée par l’usage de drogue : « Please, don’t ever turn your face from the real world / It’s such a psychdelic place the real world. (S’il te plait, ne tourne jamais le dos au monde réel / Le monde réel est un endroit psychédélique) » – soit l’aboutissement d’une réflexion globale sur l’époque et une remise en question du trip sous acide comme moyen d’accès à une réalité plus tangible.
« Il faut dépasser les drogues psychédéliques, conclue-t-il. On vit une période ironique… la post-modernité, la post-vérité, appelle ça comme tu veux, est un mouvement qui nous éloigne de nous-mêmes et le recours aux psychotropes peut, dans ce contexte, rendre l’expérience de la réalité moins réelle. Le trip, les blagues, la comédie étaient des moyens d’échapper à l’anxiété et à la banalité. Mais j’ai réalisé que le réel pouvait être plus surréaliste qu’on ne le pense. The End of Comedy, c’est aussi une façon de promouvoir l’idée d’être le plus sincère possible et arrêter d’être un fuyard ».
Un éclair de lucidité dans un monde de brutes.
L’album The End of Comedy (Weird World / Domino Records) est disponible sur Apple Music.
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