Après deux ans d’absence en raison de la crise sanitaire, le festival de musique indie basé à Six-Fours-les-Plages faisait son grand retour le week-end dernier pour une sixième édition étincelante même si quelque peu bousculée.
Le soleil d’été irradie les eaux claires de la Méditerranée. Aucun nuage à l’horizon. Par-ci, Geoff Barrow et ses camarades de BEAK> sirotent des bières les pieds dans l’eau ; par-là, l’Australienne Stella Donnelly préconise la crème solaire pour ses musicien·nes, tandis que la forte tête Charlie Steen, chanteur de Shame, prend carrément quant à lui la pose en calbar sur les rochers du bord de mer. Ces instantanées visibles sur les réseaux sociaux respectifs des artistes en sont la preuve : en ce premier week-end de juillet, il souffle comme un air de vacances sur l’île du Gaou. Et à l’ombre de la pinède environnante, même le chant des cigales se veut imperturbable face au retour en grande forme du Pointu Festival et ses milliers d’adeptes.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Victime de deux annulations successives pour cause de pandémie, le festival de Six-Fours-les-Plages, devenu spécialiste de la scène indépendante au fil de ses éditions où se sont succédés, entre autres, Thee Oh Sees, Mogwai, Godspeed You! Black Emperor ou Dinosaur Jr., retrouvait cette année le cadre idyllique de l’île du Gaou pour offrir à ses visiteurs un véritable chassé-croisé de formations indie, mêlant excitations et surprises, mais aussi quelques aléas, comme toute route de vacances qui se respecte. Pour cause, aux annulations de Kevin Morby et Boy Pablo – remplacés haut la main –, sont venues s’ajouter celles des groupes Bartees Strange et Cigarettes After Sex, contraints de décliner leurs présences à la dernière minute suite aux difficultés rencontrées dans les aéroports européens pendant le week-end.
Grands départs et prises de BEAK>
Alors que le début officiel des vacances scolaires est fixé cette année au 8 juillet, la bande d’Unschooling prenait déjà la tangente une semaine avant. Calés le vendredi 1er juillet au soir en ouverture du Pointu, les Rouennais ont su vaillamment surmonter les épreuves, entre rafales de mistral, corde cassée et soucis de sono en rodage, grâce à leur aptitude prometteuse à concilier motifs de guitares distordues et rythmiques sous tension. Idéal pour préparer le terrain comme il se devait avant l’arrivée de BEAK>, qui allait déjà livrer dans la foulée l’un des sets les plus fulgurants du festival.
21 h. Le soleil commence progressivement à décliner lorsque le trio d’obédience krautrock, débarqué tout droit de Bristol pour remplacer Kevin Morby, s’installe sur la grande scène. S’enchaînent dans l’ordre les imposants The Brazilian et Brean Down, tracks d’ouverture de l’excellent album >>> (2018). De quoi planter le décor et emmener l’auditoire sur les chemins de la transe. C’est alors qu’un léger problème technique vient s’inviter régulièrement sur les machines de Will Young, laissant les Anglais déconner sur leur sort avec le flegme qu’on leur connaît, jusqu’à l’immense final assuré avec Wulfstan II et son riff de basse assassin. Si les cocasseries de ces gaillards détonnent autant avec les rythmes hypnotiques des morceaux, elles reflètent parfaitement la raison d’être du groupe initié par Geoff Barrow : produire une musique vivante entre potes, avec le goût du risque et le sens de l’humour, et surtout jouer. Dans tous les sens du terme.
Jungle rêve de Californie
À la suite de ce fabuleux voyage offert par BEAK>, le duo londonien Jungle migre quant à lui vers la côte Ouest des États-Unis pour faire retentir les sonorités soul, funk et disco héritées des années 1970. Entourés d’un solide groupe de musicien·nes, où s’érigent chœurs, claviers, congas et autres percussions, les deux têtes pensantes du collectif alignent les hits piochés dans leurs trois albums avec fougue et précision. Ambiance tamisée, lumières chaudes et couleurs vintage qui rappellent la flamboyance des studios du Los Angeles de l’époque… Jungle transforme la fosse du Pointu en un véritable dancefloor à boule à facettes, où résonnent même quelques secondes du Staying Alive des Bee Gees pour un public conquis.
Si eux aussi ont bel et bien séjourné à Los Angeles ces dernières années pour façonner en partie leur dernier album, We Will Always Love You (2020), les Australiens de The Avalanches ont préféré suivre le concept visuel dudit disque pour se tourner vers les étoiles et l’immensité du cosmos. Mais malgré l’enthousiasme débordant affiché par la paire, Robbie Chater et Tony DiBlasi ont plutôt livré une sorte de Dj set illisible et décevant, laissant finalement peu d’espace à leurs différents morceaux pour les faire exister, maltraités en direct sous des filtres incessants.
Bryan’s Magic Tears, l’itinéraire bis
Avec ses accords de punk rock qui tâchent, The Spitters, figure de la scène toulonnaise doté d’une bonne fan base locale, relance sans grande difficulté le deuxième jour du festival, placé en majorité sous le signe des guitares et du gros son. Mais dès l’arrivée des tristes sires magnifiques de Bryan’s Magic Tears, la voie toute tracée des riffs du jour n’apparaît alors pas si linéaire que prévue. Quand le soleil cogne, pour reprendre les paroles de Slowdive, la bande de Benjamin Dupont préfère se réfugier derrière ses verres teintés pour mieux communiquer sa mélancolie adolescente – à l’exception du batteur Paul Ramon, casque de studio vissé sur les oreilles pour gérer certains samples, seul point d’ancrage dans le réel à mesure que les chansons s’enfoncent dans les effluves psychotropes du Screamadelica de Primal Scream ou les murs du son à la The Jesus and Mary Chain. Il y a alors là quelque chose de grisant que de voir ces noctambules notoires se produire en plein jour, à l’image des tubes en puissance tirés de leur récent album Sad Toys, Excuses et Tuesdays (Bye Molly) ou de ce superbe Slamino Days, plaqué en guise de conclusion.
Embardée pour caroline
Les pintes de bières cèdent ensuite leur place aux verres de vin sur la grande scène, signe avant-coureur qu’un changement d’ambiance se profile. Auteur d’un premier album grandiose sorti cet hiver, le collectif anglais orienté folk et post-rock caroline s’élance alors dans une association de rythmes complexes, de violons stridents typés John Cale et de plages ambient laissées en suspension, qui peinent à contenir le public. Mention spéciale malgré tout pour ce très beau Dark Blue venu clore une performance aussi intimiste que radicale.
The Hives sur l’autoroute à guitares
Venus remplacer Boy Pablo au pied levé, les New-Yorkais de Geese, menés par leur brillant chanteur Cameron Winter, réactivent derrière la machine à guitares. Ils ont beau ne pas être encore majeurs dans leur pays d’origine et n’avoir que quelques années d’expérience, les jeunes Américains parviennent à secouer la fosse du Pointu Festival avec un set vigoureux capable de damer le pion à tout groupe de rock de stade. Mais il faudra surtout compter sur l’arrivée en grande pompe de The Hives, tête d’affiche du samedi soir et point d’orgue du week-end, pour faire mordre la poussière de l’île du Gaou aux quelques 5 000 festivaliers surexcités présents sur le site. Comme à leurs habitudes, les Suédois se jouent des clichés à outrance avec pour objectif non dissimulé d’assurer le grand spectacle et de subjuguer la foule. Costumes noirs et blancs de rigueur, poses en veux-tu en voilà et interventions invétérées de l’intarissable chanteur-chauffeur de salle Pelle Almqvist… Voir The Hives sur scène serait alors comme surprendre les Sonics parachutés dans Moulin Rouge, une sorte de version Baz Luhrmann assumée pour ces gloires du renouveau rock du début des années 2000. Et en dépit des problèmes persistants du guitariste Nicholaus Arson, le show porté par les hits Hate To Say I Told You So et Tick Tick Boom semble mettre définitivement tout le public d’accord.
Stella Donnelly, l’épiphanie sur l’aire de repos
Dimanche, après que le power trio transhumaniste MadMadMad et les Anglais de TV Priest aient recyclé l’électricité de la veille au soir, c’était au tour de Stella Donnelly, sa voix impressionnante et son indie pop aux textes mordants de créer la surprise en récoltant à son tour tous les suffrages. Seule artiste féminine en solo programmée cette année, l’Australienne a su rivaliser avec le taux de testostérone et les décibels du week-end en enchaînant les pépites de ses débuts (Mechanical Bull, Beware of the Dogs), les reprises communicatives et les chorégraphies faites maisons, aussi bien seule en scène qu’accompagnée de sa merveilleuse bande de musicien·nes, pour charmer le public et offrir au festival son moment de grâce.
Shame voit rouge dans le sens des retours
Suite à l’annulation de Cigarettes After Sex, tête d’affiche prévue à l’origine comme la conclusion en douceur de ces trois jours intenses, il revenait aux sales gosses de Shame de clore en beauté cette sixième édition du Pointu Festival. Derrière la hargne du frontman Charlie Steen et le cardio remarquable du bassiste Josh Finerty, faisant comme toujours la girouette de part et d’autre de la scène, il n’en a fallu pas moins aux Anglais pour proposer un acte d’ultime ferveur construite autour des brûlots de leurs deux premiers LP (One Rizla, Concrete, Alphabet) et des nouvelles compositions pleines de morgue et de mélancolie, comme ce bluffant Wicked Beer, future grande chanson de la discographie des lads de Brixton. Dernier cri de rage sur l’île du Gaou, dernier Circle pit pour une fosse énervée et dernier nuage de poussière sablonneux avant de laisser reposer jusqu’à l’été prochain.
{"type":"Banniere-Basse"}