Egérie du cinéma d’auteur nineties, Chloë Sevigny fait un come-back inattendu dans une série anglaise en tueuse à gages transsexuelle. Ce soir sur Canal Plus, à 22 heures 40.
Les robes moulantes, le maquillage années 50 et les cheveux longs soignés la font ressembler à l’héroïne d’un film noir. Dans Hit & Miss, série made in England créée par Paul Abbott (Shameless, Jeux de pouvoir), Chloë Sevigny interprète le rôle le plus glamour de sa carrière, comme elle l’affirme en cette matinée hivernale dans un palace parisien. Glamour, mais avec un petit pas de côté. Son personnage, Mia, est un transsexuel préopératoire “M to F”, c’est-à-dire un homme qui n’attend plus que la chirurgie pour parachever sa transformation en femme. Cette identité mouvante se double d’un métier peu commun : tueuse à gages. Au premier épisode, Mia apprend même qu’elle a eu un enfant d’une relation ancienne avec une femme.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
“Elle n’a rien d’un père ordinaire”, clame l’accroche publicitaire de Hit & Miss avec raison. Dans l’une des premières scènes, alors qu’elle se prépare pour aller sous la douche, nous découvrons le sexe de Mia, étrange appendice masculin sur un corps de femme. On n’avait jamais vu cela dans une série. Chloë Sevigny ne s’en est d’ailleurs pas vraiment remise.
“J’ai dû porter un pénis prothétique pendant six jours. Au bout du quatrième, je n’en pouvais plus. J’ai eu l’impression qu’il était devenu le personnage principal. J’ai carrément proposé de créditer la bite au générique ! Il y a eu quelques crises de larmes car dans mon esprit, Hit & Miss devait parler d’autre chose… Le producteur me demandait de lui faire confiance, jurant que tout serait justifié. Ce n’est pas l’impression que j’avais sur le tournage. On est déjà vulnérable en se promenant seins nus, alors avec ce truc en plus entre les cuisses… Je me suis sentie comme un freak, à l’image de mon personnage, en fait. Au bout du compte, je reconnais qu’ils ont fait du bon travail. Il ne reste qu’une ou deux scènes dans les six épisodes avec lesquelles j’ai un problème.”
>> A lire aussi : notre critique de la série « Hit & Miss »
Chloë Sevigny n’est pas du genre à faire la promo sans sortir les crocs. Une habitude pour cette icône du cinéma indépendant, révélée dans Kids de Larry Clark en 1995. Si elle a trouvé le tournage de la série, dans le nord de l’Angleterre, compliqué, sa fascination pour un personnage inédit a compensé les désagréments.
“Je me suis d’abord demandé si je devais être vexée qu’ils pensent à moi pour incarner un transsexuel (rires) ! Et puis j’ai lu le scénario et j’ai été soufflée. C’était dingue. Bien plus fou que ce que l’on voit finalement à l’écran. J’avais seulement un peu peur, car il s’agissait de mon premier vrai rôle principal.”
« L’idée était de marquer à fond la féminité du personnage »
Avec des références précises en tête, telle Candy Darling (actrice et superstar warholienne transsexuelle), Sevigny a construit patiemment Mia, multipliant les lectures pour envisager son état d’esprit, élaborant son look avec des principes clairs. “Plutôt que de l’imaginer comme dans le film Transamerica avec Felicity Huffman, où les attributs masculins du personnage sont mis en avant, l’idée était de marquer à fond sa féminité. J’ai rencontré plusieurs hommes devenus femmes qui étaient plus féminins encore, parfois outrés. Mais c’était difficile d’aller jusque-là. Nous sommes restés assez sages.”
Le résultat est captivant, en pleine cohérence avec une carrière fondée sur le grand écart entre le monde du cinéma indépendant validé par les oscars (elle a été nommée en 2000 pour Boys Don’t Cry) et le chic télévisuel incarné par la chaîne câblée HBO (la série Big Love, entre 2006 et 2011). “Aujourd’hui, les gens ne parlent plus que de séries, en particulier Mad Men et Breaking Bad, dit-elle avec sa voix traînante. J’essaie souvent de réfléchir aux films dans lesquels j’aimerais figurer, mais il n’y en a pas tant que cela.”
En une trentaine de longs métrages, Chloë Sevigny a pourtant su choisir ses apparitions avec soin, au point de devenir un second rôle très prisé. Elle a croisé quelques-uns des cinéastes les plus intéressants des quinze dernières années : Harmony Korine (Gummo, Julien Donkey-Boy), Olivier Assayas (Demonlover), Werner Herzog (Dans l’œil d’un tueur), avec un tir groupé entre 2004 et 2007 où elle est passée de Woody Allen (Melinda et Melinda) à Lars Von Trier (Manderlay), puis de Jim Jarmusch (Broken Flowers) à David Fincher (Zodiac).
Juste avant, l’actrice avait fait parler d’elle pour une scène de fellation dans le film de Vincent Gallo, The Brown Bunny, en 2003. Un film magnifique dont le magma médiatique n’a retenu que le “scandale”. Elle en parle aujourd’hui avec un certain détachement.
“On retient mes films les plus polémiques, mais j’ai quand même l’impression d’avoir tourné de bonnes choses qui n’avaient rien de scandaleux, comme Les Derniers Jours du disco de Whit Stillman en 1998. Le problème, c’est que le sexe est toujours un sujet de controverse. Les gens adorent parler du fait qu’on ne devrait pas en parler, surtout en Amérique. J’ai vraiment du mal à le croire…”
Parmi ses amitiés dans un milieu du cinéma qu’elle ne fréquente que de loin, celle avec le réalisateur Whit Stillman reste tenace : “À l’automne, je suis allée à l’avant-première de Damsels in Distress. J’avais envie de soutenir Whit. J’ai adoré le film. J’aime sa voix singulière. À la soirée qui a suivi, il a évoqué l’idée de faire se rencontrer Greta Gerwig (héroïne de Damsels in Distress – ndlr) et moi dans un univers similaire. J’adorerais que le projet aboutisse.”
« Je ne suis plus la ‘it-girl’ que j’étais avant »
La voix est claire mais légèrement mélancolique. Qu’est-il arrivé à la jeune fille qui fascinait Manhattan au début des années 90, avant même d’avoir tourné la moindre scène, inspirant à l’écrivain Jay McInerney un portrait dans le New Yorker ? Dans ce texte paru en 1994, l’ami de Bret Easton Ellis intronisait Chloë Sevigny en muse de son époque, “it-girl” ultime, célébrée pour son style comme un pendant contemporain à Edie Sedgwick, égérie de la Factory.
Dix-huit ans plus tard, l’ardeur est toujours intacte dans son regard. La recherche de nouveauté n’a pas disparu, mais la lucidité a gagné du terrain. “Ce qui est sûr, c’est que je ne suis plus la ‘it-girl’ que j’étais avant. Je n’ai pas autant de travail au cinéma que dans les années 90. Je ne retrouve plus le climat que je connaissais, quand des gens faisaient des films pas très chers et parvenaient quand même à les distribuer. Aujourd’hui, l’image de mon personnage dans Big Love (l’une des trois femmes d’un entrepreneur mormon – ndlr) me colle à la peau. Parfois, je participe à des rendez-vous un peu bizarres à Los Angeles avec des cadres de grands studios. Je fais des efforts pour refaire parler de moi au cinéma. Dans ce métier, il faut toujours rappeler aux gens qui on est.”
Chloë Sevigny est loin d’avoir disparu des radars. Après la saison 2 d’American Horror Story, elle a tourné récemment un pilote pour la chaîne A&E et devrait produire une minisérie pour HBO dont elle tiendra le premier rôle. Mais jouer n’est pas sa seule préoccupation. Depuis trois ans, elle dessine des collections pour le concept-store Opening Ceremony. “Une manière d’assouvir ma passion pour la mode et une bonne façon de ne pas finir déprimée quand je ne suis pas en tournage !”
Le reste du temps, miss Sevigny arpente sa ville. New York, évidemment. “J’y suis depuis une vingtaine d’années, cela fait de moi une vraie fille de Manhattan, non ? Les gens disent que New York est devenue trop propre, mais j’ai toujours l’impression d’une ville sale. Mis à part dans le Upper East Side, les poubelles encombrent les trottoirs. C’est vrai qu’on ressent un embourgeoisement car les gens qui s’installent sont différents. Mais les rues attendent toujours la pluie pour être nettoyées. Dans mon quartier du East Village, les loyers ont été à peu près sous contrôle, ce qui fait que les artistes qui sont arrivés dans les années 70 et 80 y vivent encore. Le côté bohémien et alternatif reste présent. Il m’arrive de croiser dans la rue un punk de 50 ans, qui me donne envie de vieillir comme lui. »
Olivier Joyard
Hit & Miss à partir du 21 février, 22 h 40, sur Canal+
{"type":"Banniere-Basse"}